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abolir, par les deux Commissions émanées des Anciens et des Cinq-Cents, l’odieuse loi des otages, et, le 28, faisaient prononcer par ces mêmes Commissions l’abolition de l’impôt progressif. Aussi écrivait-il à sa fille le 8 frimaire :

J’ai reçu ta lettre du 24, où je vois avec plaisir la continuation de l’enthousiasme public, et le tien propre. Effectivement, tout ce qui a été fait jusques à présent, et pour les otages, et pour les finances, doit plaire à toutes les classes de la société.

Cependant tous ces événemens avaient jeté Mme de Staël dans un état d’agitation qui inquiétait M. Necker non seulement parce qu’il craignait pour elle « une maladie bilieuse ou un dérangement dans les nerfs du cerveau, » mais parce qu’il commençait à redouter de sa part quelque imprudence. Aussi la suppliait-il d’aller passer quelques jours à la campagne, non point à Saint-Ouen, mais chez Mme de Castellane ou chez quelque autre[1]. « Comment ! ajoutait-il, des insomnies continuelles, des réveils en sueur, ou des heures de méditations sur les tisons, et le tout pour des regrets que je tiens pour chimériques, mais qui, fussent-ils fondés, se bornent à quelques mots imprudens ! Et qu’est-ce donc qu’une telle faute et qui peut en être à l’abri, avec beaucoup de vivacité d’esprit et de caractère. » Il apprenait cependant d’elle-même avec plaisir, par une lettre du 10 frimaire, que ses nerfs s’agitaient moins, et le 19 il lui répondait :

Je désire ton succès dans l’objet présent de tes vœux pour M. Constant, mais, s’il y avait contrariété, il y aurait plus d’un motif pour en prendre son parti. Est-ce qu’une place de délégué ou avocat général pour défendre les lois ne donnerait pas autant d’exercice à ses talens ? Mais s’il fallait tout défendre, et publiquement, ce ne serait guère une place digne d’envie, et celle au Tribunat vaudrait mieux[2]. Mais je parle de tout cela comme un aveugle des couleurs et sur des aperçus de gazette. Je vois avec plaisir qu’on a de l’empressement à s’enrôler dans la nouvelle milice. À chacun son goût.

  1. Mme de Castellane, la mère du futur maréchal, possédait à Acosta, aux environs de Paris, une habitation où nous retrouverons prochainement Mme de Staël.
  2. La Constitution de l’an VIII fut votée le 22 et promulguée le 27 frimaire. Mais on savait déjà qu’elle instituait à la place du Jury constitutionnaire et du Grand Électeur proposé par Sieyès un Sénat, un Tribunat et un Corps législatif. C’est là ce que M. Necker, dans la suite de la lettre, appelle la « nouvelle milice. » Quant à Sieyès, qui, à ce moment, affectait de vouloir ne rien être, on sait qu’il finit par accepter la présidence du Sénat.