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Pascal frémit. Qu’on veuille comparer au Phédon les Pensées : voilà, très exactement, la différence que je trouve entre l’idée de la mort telle que l’a élaborée M. Maurice Maeterlinck et l’idée de la mort telle qu’à mon avis elle est dans nos âmes, non païennes et philosophes, mais chrétiennes et vivantes.

Cela me gêne, lorsque je lis — et l’admire — le traité de La mort : il n’a pas l’air écrit pour moi ; et je dis pour moi comme pour un autre lecteur de ce temps. Il a l’air écrit avant les siècles de la pensée et de la vie chrétiennes. Sauf les chapitres où l’auteur étudie les doctrines des théosophes et spirites, l’ouvrage aurait assez bien l’aspect d’un poème antique, mis en notre langue avec talent.

Or, cet ouvrage est, comme eût dit Pascal, de l’ordre « consolatif. » Mais il ne console pas notre idée de la mort : il console une idée de la mort, ancienne et antérieure à la nôtre.

M. Maeterlinck note que l’idée de la mort ne se transforme pas vite, et qu’elle dure, dans les âmes, obstinément la même, quand la philosophie générale subit les plus violentes tribulations. « Un homme d’un autre siècle, revenant parmi nous (remarque-t-il), ne reconnaîtrait pas sans peine, au fond d’une âme d’aujourd’hui, l’image de ses dieux, de son devoir, de son amour ou de son univers ; mais la figure de la mort, quand tout est changé autour d’elle et que même ce qui la compose et dont elle dépend s’est évanoui, il la trouverait presque intacte, telle qu’elle fut ébauchée par nos pères, il y a des centaines... » M. Maeterlinck ajoute : « voire des milliers d’années... » Des milliers d’années, non ; des centaines, oui. Et, l’idée de la mort, — qu’on en soit, ou non, satisfait, — c’est le christianisme qui l’a modifiée : c’est du christianisme que nous la tenons et que la tiennent, quitte à la dénaturer par ailleurs, ceux de nos contemporains qui protestent contre le dogme de l’Église.

Que l’idée de la mort n’ait pas changé, depuis des siècles, voilà un fait. Il est assez remarquable, et singulier même, pour qu’on veuille en chercher les causes. M. Maeterlinck l’attribue a une sorte de pusillanime paresse de notre intelligence : nous avons peur de la mort et n’osons pas penser à elle ; ainsi notre intelligence, si hardie aux abords des problèmes les plus divers, ne touche pas à l’idée de la mort. Cette interprétation d’un fait exactement constaté, je ne la crois pas juste. S’il est vrai qu’un chacun, dans le privé, se plaise à éconduire le plus angoissant des problèmes, peut-on dire que la philosophie et la science l’aient omis ? Ne faudrait-il pas dire plutôt que la philosophie et la science tout entières, et dans toutes leurs démarches variées, tendent à