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sa doctrine : la raison ne lui enseigne pas ce que fera de nous l’infini, mais elle l’avertit de ce que l’infini ne fera pas. Il dit encore : « Il est impossible d’imaginer une mauvaise volonté dans une volonté qui ne laisse autour d’elle aucun point qu’elle n’occupe tout entier. » Il nous accorde, en fin de compte, cette assurance.


Ce livre est beau. Il l’est par le sujet qu’il traite, et qu’il traite dignement, avec une parfaite loyauté de pensée, avec un simple et pur amour des idées. L’auteur est un homme que les idées contentent et qui ne leur demande qu’à les contempler. Il ne les habille pas de faux ornemens ; et il a soin de ne les point lancer dans des aventures où, parfois, on les compromet.

Ce livre est beau, à propos duquel on vient souvent à citer Platon, saint Anselme et Pascal. Maintes pages de La mort éveillent en nous le souvenir du Phédon ; et quelques-unes, celui du Protagoras. Les disciples de Socrate et aussi les délicats sophistes avaient de ces causeries, un peu lentes, prudentes et ingénieuses, qui semblent un jeu libre et aisé de l’esprit et qui vont habilement à leurs conséquences. Disciples de Socrate et sophistes ont presque le même langage ; et ils mêlent aux vérités souveraines les roueries secourables de la dialectique, ordonnant avec élégance le chœur gracieux des idées. Les chapitres où M. Maeterlinck épilogue sur l’infini, lequel ne peut être méchant et se châtier en quelque portion de lui-même, sont à peu près de cette qualité noble et fine. Et, par endroits, le subtil raisonnement rappelle (je l’indiquais) la manière de saint Anselme : il est du genre ontologique. Il n’aboutit pas à une démonstration tout à fait convaincante, pour le profane ; mais il serait plutôt un hommage que rend, à la certitude qu’il possède et qu’il aime, le dialecticien. Quand saint Anselme pose les prémisses de son argument célèbre, il ne doute pas du Dieu qui apparaît à la conclusion. Et M. Maeterlinck, avant de traiter à sa guise la notion de l’infini, savait qu’il l’inclinerait à la douceur.

Ce livre est beau, par l’évidente certitude qu’il contient et qui se devine déjà dans l’hésitation préliminaire, avant de s’épanouir. Quelle sérénité magnifique ! A nul instant l’auteur n’est inquiet. Cependant, jusqu’à la fin du Livre, il tempère de maintes réserves son affirmation. Mais il n’a pas de doute, quant à lui : on le sent merveilleusement tranquille ; et jamais la phrase ne tremble.

C’est la beauté de ce livre ; et c’en est aussi l’étrangeté presque insolente : il parle de la mort et ne frémit pas !...