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Alors, il nous refuse l’anéantissement. Il le regrette : le néant, n’étant rien, ne serait pas redoutable. Mais, pour jeter au néant une chose, il faudrait concevoir le néant : et, si le néant existe, il n’est plus le néant. Ce positiviste raisonne à la façon des métaphysiciens : son argument, saint Anselme ne l’eût-il pas aimé ?

A vrai dire, quand nous parlons de notre anéantissement, il s’agit de notre individualité qui se décomposerait ; et Lucrèce ne demandait pas davantage. Or, qu’est-ce que notre individualité ? L’œuvre de notre mémoire : de notre qualité la plus fragile. Le moi n’est, en somme, presque rien : dans la durée, un bref accident. Et voici bien le ridicule : nous n’avons souci que de lui, que de cette « infirmité de notre conscience actuelle ; » nous exigeons que ce moi, qui n’est quasi rien, nous accompagne dans l’éternité ! Si nous étions moins fols, M. Maeterlinck nous détournerait d’une telle prétention. Il nous engagerait à nous dire : — Avec la mort, « une autre vie commence, dont les bonheurs ou les malheurs passeront par-dessus ma tête sans effleurer de leurs ailes nouvelles ce que je me sens être aujourd’hui. » Seulement, nous réclamons la persistance de notre individualité.

Nous la réclamons avec un tel acharnement qu’avant de nous la dénier M. Maeterlinck va consulter la science.

Il y a, en fait de savans, les théosophes et leur doctrine de la réincarnation, qui a de l’envergure. Mais, le travail des théosophes, on l’a examiné de près : on l’a vu tout plein de fraudes évidentes et souvent grossières. Renonçons aux théosophes.

Pais il y a, en fait de savans, les spirites et néo-spirites. M. Maeterlinck est touché de la précaution qu’ils mettent dans leurs expériences. Il ne conteste pas la part immense de rude mystification qui orna les débuts de leurs recherches. Du moins montre-t-il que plusieurs d’entre eux, fort honnêtes, procèdent bien, écartent les principaux risques d’imposture et enfin suivent les bonnes règles de la science. Mais, avec tout cela, quels renseignemens leur devons-nous ?

Ils réussissent à évoquer les défunts. Oui !... Soyons prudens : tout se passe à peu près comme s’ils réussissaient à évoquer les défunts. Et voici les défunts, invisibles, présens tout de même. On les interroge. Ils ne sont pas timides ou dédaigneux. Ils parlent volontiers. Que disent-ils ? Oh ! peu de chose ; avec beaucoup de mots, très peu de chose. La grande affaire, c’est, pour eux, qu’on les veuille bien reconnaître et qu’on ne doute pas de leur identité. Ils racontent des souvenirs de l’ancien temps. Ils vous disent : — Tu te rappelles, n’est-ce pas ?... Et ils vous citent des anecdotes, menues et démonstratives. Et