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la souffrance. Dégageons-la, et premièrement, de l’agonie. Les maladies appartiennent à la vie, non à la mort. Eh bien ! quand nous avons à juger la mort, ne lui imputons pas, afin d’être justes, ce qui n’est pas d’elle. Si la vie « résiste injurieusement » à la mort, est-ce la faute de la mort ?... (Ainsi, un Grec charmant disait que Socrate n’était pas mort : serait-il mort après sa vie ? absurdité ; pendant sa vie ? absurdité. Donc Socrate n’est pas mort !...) Cette dialectique ingénieuse est pour disculper la mort, hélas ! et, à l’égard de cette funeste aventure, nous en sommes là qu’un joli raisonnement nous donne un secours précieux : le moindre secours, au surplus, nous est bon comme, à des enfans qui pleurent, des paroles encourageantes. Cette dialectique, de belles phrases, qui ont la transparence et le son des pures idées, sont destinées à la rendre mieux persuasive : « Accusez-vous le sommeil de la fatigue qui vous accable si vous ne lui cédez point ? « Et un jour viendra « où la vie assagie s’en ira silencieusement à son heure, sachant son terme atteint, comme elle se retire silencieusement chaque soir, sachant sa tâche faite. » Ce jour, comment viendra-t-il ? C’est « la science » qui l’amènera.

La science ! dit M. Maeterlinck. En effet, il consultera les savans : nous le verrons. Pourtant, à la manière des mystiques, il réalise les emblèmes des mots ; il sépare la Vie et la Mort et traite chacune d’elles comme une personne morale. Il est, je le disais, mystique et positiviste, l’un et l’autre ensemble. Voilà le caractère de son esprit, l’originalité, la singularité de sa philosophie.

La science expliquera donc la mort. Ce fut déjà l’espérance de Lucrèce. Il y a cette analogie entre le poème De la nature et le traité de La mort. Ces deux poètes philosophes nous veulent délivrer de nos terreurs, tous deux en nous montrant la réalité. Lucrèce, pour nous apaiser, possède (il le croit) une science complète : 1a cosmologie d’Épicure ; tandis que M. Maeterlinck annonce (et ne dit pas qu’on la possède encore) la science décisive. A leur première différence, ajoutons la seconde : Lucrèce est matérialiste et nous promet l’anéantissement final ; tandis que M. Maeterlinck est spiritualiste. Nous l’en féliciterons ; notons aussi que sa tâche sera plus difficile.

Non seulement il est spiritualiste ; mais à peine a-t-il soin d’écarter l’hypothèse matérialiste : il la considère évidemment comme non avenue. Non seulement il est spiritualiste, — et, s’il substituait l’esprit, substance unique, à la matière, substance unique, le changement serait de petite conséquence ; — mais il est dualiste et admet deux substances, la matière et l’esprit, le corps et l’âme.