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illuminer les ténèbres. Bref, il nous amenait aux bords du monde, à la plage que baignent les vagues dernières de cette mer, disait Littré, pour laquelle nous n’avons ni barques ni voiles : et il accoutumait nos yeux au paysage de l’inconnaissable.

Mais il négligeait la suprême terreur, la mort. Et la voici. Maintenant, c’est à elle qu’il nous conduit.

Ne sommes-nous pas dans la chambre de Maleine ou dans la prison de Tintagiles ? Notre peur n’est-elle pas celle dont frémissent la petite princesse qui se figure que ses idées bougent autour d’elle et le petit enfant qui a les doigts crispés dans les cheveux d’or de ses sœurs ? Pour calmer nos alarmes, on va nous prendre par la main, soulever les rideaux, nous montrer que personne n’est caché sous leurs plis ; et l’on allumera toutes les lampes, afin de disperser l’obscurité de tous les coins où nos mauvais songes se dissimulent ; et l’on parlera haut, de manière à chasser le silence, redoutable comme l’ombre.


Platon définissait la philosophie « la méditation de la mort. » Sans la mort, la philosophie aurait encore de l’attrait, mais un attrait de curiosité. Dans ce monde, que nous ne comprendrions pas à merveille, nous nous installerions assez bien, comme nous demeurons dans un quartier d’une grande ville et ne connaissons pas, où connaissons peu, le reste de la ville. Avec la mort, nous avons affaire ailleurs, et précisément dans le mystère. Ainsi, notre curiosité n’est pas simplement curieuse ; il s’agit, écrivait Pascal, de notre tout. Et M. Maurice Maeterlinck : « Il n’y a pour nous, dans notre vie et dans notre univers, qu’un événement qui compte, c’est notre mort. »

Y pensons-nous ? Le soin que nous mettons à nous divertir de cette inquiétude prouve assez qu’elle nous obsède. Et puis il faut toujours que la cavalcade si gaie rencontre, — comme dans la fresque d’Orcagna, au Campo Santo de Pise, — les cercueils où la chair, pareille à la nôtre, pourrit. Que faire, alors ? Les chevaux reniflent ; seigneurs élégans et jolies dames se détournent, se bouchent le nez. Il vaudrait mieux s’être muni du courage qu’il faut pour subir sans faiblesse la rencontre.

M. Maeterlinck cite Bossuet, qui déclare indigne d’un chrétien « de ne s’évertuer contre la mort qu’au moment où elle se présente pour l’enlever ; » et il déclare, lui, indigne d’un homme de n’avoir pas préparé « dans la clarté des jours et dans la force de son intelligence » son idée de la mort, de sorte qu’au dernier instant se tinssent à son chevet, « comme des anges de paix, » les pensées les plus nettes et lucides.

Mais l’idée de la mort est toute mêlée et souillée des horreurs de