Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour appeler à la concurrence une autre compagnie.

Sans l’aide française, les Anglais seraient vite supplantés au Mozambique. Car seuls les Allemands et les Français travaillent. On le voit à Inhambane autant qu’à Zanzibar : ils s’attablent à leur correspondance innombrable avant 8 heures du matin, déjeunent rapidement, et, le soir, à 6 heures, on les trouve encore au comptoir à discuter et calculer avec les vendeurs indigènes dont ils ont appris les langues. Nous avons souvent causé avec ces hommes de négoce : nous ne cessions d’admirer leur force et leur promptitude de labeur, la vivacité pratique de l’intelligence persistant sous ces fronts transparens et ces crânes prématurément chauves que la constante chaleur de ces climats semble avoir épuisés par l’exsudation jusqu’au squelette luisant. « Nous, nous ne sommes pas des serfs, » prononcent les Anglais qui, dès 3 heures, se font porter aux terrains de tennis et de golf où on les voit flirter avec désinvolture, et qui boivent whisky sur whisky jusque tard dans la nuit. Il en résulte qu’au Mozambique, comme en leur propre Zanzibar, aucune maison de commerce anglaise ne tient devant une française et qu’il en faut plusieurs allemandes pour réaliser le même chiffre d’affaires que celle-ci.

Mais les Français sont peu nombreux. Nous ne possédons pour toute la colonie qu’un vice-consul, à qui il arrive d’être maladif et nostalgique, qui s’est terré loin de la ville dans une villa de campagne aménagée par d’innombrables grillages en forteresse contre les moustiques, que son métier énerve, qui déclare n’avoir de fonds pour rien entreprendre, et laisse tout à l’abandon, alors que le développement même de Madagascar impose la reprise des anciennes opérations, fût-ce avec les plus grands sacrifices. A Beïra, notre agent consulaire est un marchand anglais qui ne sait pas le français, et il ne se soucie que de l’accroissement de la suprématie britannique ; à Ibo, où régnaient des sociétés françaises, c’est un honorable Portugais, — agent de recrutement de main-d’œuvre pour le Transvaal, — qui s’excuse de ne pouvoir arborer sur sa demeure l’écusson de la France, parce qu’il date de trop de décades et qu’il est plus petit que celui de la Belgique dont il se trouve également le consul. Du moins avons-nous à Quilimane un homme de première valeur, très intelligent, énergique, pratique, précis ; mais quel parti avons-nous jamais tiré de ses remarquables rapports économiques ?