Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/679

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’humanité civilisée sait mal le sort réservé à ces troupeaux d’hommes. Voici une des exploitations les plus honteuses qui se perpètrent dans l’univers ! Nous avons visité au Transvaal les nouveaux « camps de concentration » où sont parquées ces multitudes d’hommes sans femmes, couchés bestialement par centaines dans la même salle puante que seule, l’hiver, leur chaleur animale réchauffe. En récriminant contre leurs vices, un ministre anglican nous invitait à remarquer qu’ils ne semblent d’ailleurs pas malheureux : ils ne sont en effet qu’abrutis, ayant atteint la perfection servile de la domesticité ; ils passent la plupart des heures de repos à dormir. Il en est qui, étendus sur le sol, à la lumière et le visage couvert, semblent, par rangs, des cadavres dans des linceuls de boue ; d’autres, pelotonnés sur eux-mêmes, en des couvertures de laine rousses de saleté, mâchant une canne à sucre, se chauffent sans parler contre les parois en tôle de leur casemate que le soleil brûle. Quelques-uns marchent en tirant de l’accordéon une triste musique de forçats ; solitaires, il s’en promène qui jouent d’un plaintif violon à bouche ; mais la plupart sont assis ou couchés, occupés d’une main souffreteuse à débander puis à emmailloter de chiffons malpropres leurs pieds bouffis et ensanglantés, fouillant avec des canifs dans les plaies violettes des plantes que déchirent, au fond des mines, les éclats de la pierre. Depuis longtemps le Gouvernement étudie, parait-il, le projet de faire donner des chaussures aux ouvriers noirs, mais les Compagnies rechignant toujours devant la dépense, c’est de la gangrène que meurent ces tribus d’hommes aux puissantes musculatures.

Descendez ensuite dans les mines. Il faut s’allonger en une bobine, la tête pressée contre le ventre de celui qui suit, en sorte que le visage ne soit pas mutilé par la paroi oblique contre laquelle on glisse vertigineusement. « Le câble ne casse-t-il point parfois ? — Oh ! si, dit un contremaître, mais nous savons que ceux qui s’écrasent en bas ne reviendront pas se plaindre, et, en haut, sur le plateau, il ne manque pas d’hommes. » Vous voilà dans les galeries, à 1 500 mètres de profondeur : suans, les yeux en pleurs, les Cafres, voûtés, cassent la pierre, durement la balaient avec des pelles, éclairés par des bougies clignotantes ; les plus habiles manœuvrent les perforatrices assourdissantes : le trou ménagé, on y met la dynamite ; le plus rude est ensuite de pénétrer dans la petite caverne creusée par l’explosion,