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qui depuis cinq siècles n’a rien édifié et ne réussit qu’à se faire détester, bonne seulement à pressurer l’indigène : « Tout autre Européen, nous dit-on au Mozambique[1], pourrait, la canne à la main, aller d’ici au Benguela ; à une demi-heure de la ville, à peine touché l’autre côté du détroit, un Portugais serait immédiatement massacré. » A quoi les Portugais répondent en citant Pombal, qui fut le premier ministre d’un Etat blanc à accorder aux Indiens du Brésil « les mêmes droits et honneurs » qu’aux colons. On ne les tient pas quittes pour si peu : les voici dénoncés comme exploitant l’Européen ainsi que l’indigène, tirant toutes ressources de leurs douanes dont le tarif varie au caprice des douaniers. Pas d’industrie. Leur agriculture se ramène à la cueillette dans les cocoteries. Aucun sens pratique : à Beïra le gouverneur de la compagnie, — car ce sont des compagnies à charte qui administrent encore comme au XVIIIe siècle, — a fait aménager des squares, — mirages de verdure, — en plein sable au lieu de quais cimentés : en temps de pluie il faut y poser des planches pour circuler. On joue ici comme en aucun pays d’Extrême-Orient même, et le curé d’Ibo aurait engagé jusqu’à son église. Enfin ils sont hypocrites : les plus raffinés, qui parlent élégamment le français ou l’anglais, restent foncièrement xénophobes derrière leur attitude galamment hospitalière : ils sentent tellement que, se montrant bons à rien, ils doivent être nécessairement supplantés... par les Anglais et les Allemands !

Il nous a semblé au contraire que, sans se révéler très laborieux, les Portugais d’aujourd’hui, intelligens et souples, savaient assez vivement tirer parti, au milieu de toutes les complications politiques et des bouleversemens administratifs, de la situation que leur ont imposée les événemens et la nature des choses. Au point de vue économique même, le chiffre annuel du commerce extérieur, — plus de 150 millions, — n’est pas à dédaigner ; et ils arrivent, à la vérité par quelque protectionnisme, à assurer une part croissante du transport à leurs bateaux qu’on voit dans leurs rades battre fièrement pavillon

  1. De même en Europe lit-on dans des journaux comme la Post : « Comment peut-on laisser au Portugal où la sauvagerie triomphe le soin de coloniser des territoires immenses ? le Portugal n’a pas de droit moral sur ces pays. Ce serait une bénédiction pour les régions africaines où flottent encore les couleurs portugaises si elles entraient dans la possession d’un autre gouvernement. »