Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à leurs bureaux en manches de chemise, mais avec une impassibilité correcte et une lenteur souveraine.


De Lourenço-Marquez aussi, « terminus » du chemin de fer du Transvaal, les Anglais estiment devoir prendre possession par le progrès sûr et sans tapage d’une pénétration pacifique, n’ayant pu s’en emparer en 1875, grâce à l’arrêt d’arbitrage du maréchal de Mac-Mahon. Ils ne veulent jamais l’appeler Lourenço, mais systématiquement Delagoa-bay.

La ville se dérobe au fond d’une des plus spacieuses baies du continent. Après l’avoir traversée durant plusieurs heures de toute vapeur, le navire tourne le cap haut, rond et rouilleux pour aborder au quai parmi dix autres steamers. Le port est d’une activité grandiose : de nombreux voiliers, au loin, immobilisent leurs mâtures sur un coucher de soleil rutilant et violâtre où se déchiquettent des nuages qui reflètent la couleur de cette terre magnétique. Les orages y fulgurent, surnaturels. Le crépuscule mauve, splendide, est déchiré d’éclairs de cuivre et de fer incandescent dans un éclat apocalyptique. Quand, après une heure et demie d’oppression, l’orage se déchaîne en trombes sur la côte, longuement du ciel se projettent des lueurs éblouissantes d’acétylène qui, durant plusieurs secondes, sans bruit, illuminent comme en plein jour la ville muette.

Avec ambition Lourenço se déploie en immense amphithéâtre de bungalows rouges éparpillés dans la calme verdure des cocotiers et des eucalyptus. Çà et là se massent les tons jaunes et rosés des vieilles constructions portugaises.

Qu’on circule dans cette capitale excentrique, — puisqu’elle se trouve à l’extrémité de la colonie, — on demeure frappé de l’ampleur exagérée de ses cadres. Ceux qui la bâtirent rêvèrent-ils que la population du Transvaal décuplerait ? Il était cependant évident que Lourenço en pouvait devenir seulement un des ports, qu’elle n’en serait jamais une métropole. Nombre de constructions veulent en imposer par leurs colonnades et leurs galeries latines, mais la ville a déjà l’air abandonnée. Et l’on est vite attristé par l’infinité de maisonnettes, semblables à des caisses percées de fenêtres à grillages, qui s’ensevelissent sous les bocages étouffans. On voit courir beaucoup d’enfans blancs aux pieds nus, et, sous toutes les varangues titubant aux inégalités du terrain, pullulent, dans la misère, de petits métis fiévreux.