Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des mosquées, où les Indiens se tiennent accroupis sans parler sur de longs divans de bois ciselés ainsi que des étagères ; du plafond pendent, comme en souvenir des migrations, de petits boutres en bois. Dans les nombreux ateliers étroits, les Asiatiques à toques de perles surveillent jusque dans la nuit, sous la lueur des chandelles, le travail des Africains recroquevillés à coudre et à tailler, soumis, mais mystérieux ainsi qu’aux Mille et une Nuits.

Au ciel splendidement velouté, les étoiles brillent comme des bijoux.


Tout autre encore, c’est sur un fleuve, le Zambèze, que fut installée, en 1544, Quilimane, quadrillée régulièrement telles les villes que notre Compagnie des Indes construisait sur le plan de Lorient, mais réduite à la proportion d’un grand jardin. Paradisiaque est son abord, car les quelques bâtisses, élégantes, se perdent sous le feuillage fin des flamboyans, entièrement écartâtes de fleurs rutilantes au cœur de l’été.

Nul éden n’est plus sauvage. Déjà, avant d’atteindre Quilimane, sur le Zambèze nous rencontrions de longues pirogues primitives bondées d’indigènes tout nus, maigres, bestiaux et ahuris, comme on en voit aux vignettes des premiers livres du XIXe siècle où les Livingstone contaient de façon biblique leur découverte de l’Afrique. Dans cette ville antique, qui gardait sur notre imagination un prestige de cité historique, ne déambulent partout que Cafres vêtus d’une ficelle et de quelque lambeau de toile boueuse, le visage imbécile sur des corps difformes, le nombril exorbitant. Les femmes, elles, marchent en roulant avec l’inconscience réjouie d’êtres sans pensée, drapent le bas de leur corps d’un pagne corail : ainsi fleurissent-elles, de loin, le sous-bois moisi des avenues de manguiers. On les voit se presser aux échoppes, en béatitude devant tout ce que leur proposent de pourpre les Indiens amaigris : mouchoirs, écharpes, colliers, chapelets de porcelaine, bagues. Elles bougent, se taisent, caressant ces étoffes éclatantes qui, faute d’éveiller encore l’intelligence, fixent le sens artistique de l’œil chez ces êtres enfantins en qui la convoitise de l’objet coloré fait grouiller une secrète gaité.

Au coin des rues, entre des ouatiers, une femme au crâne laineux surveille des tonneaux emplis d’une eau blanchâtre