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sergens blancs les conduiront et leur crieront les commandemens. Des métis portugais les regardent avec une complaisance ironique et reprennent leur flânerie, prévenans pour l’étranger qu’ils croisent, se pavanant sans parler le long des quincailleries et des buvettes jusqu’à la rude église dont la maçonnerie a pris par l’embrasement de la mer la teinte rose pâle des vieux coquillages.

Partout dans la rue s’affiche le mot de République. La principale place porte l’étiquette encore luisante : Place de la Liberté. Elle est ceinte de bâtimens administratifs où les fonctionnaires, si zélés pour le gouvernement nouveau, sont aussi tout neufs, car le personnel entier a été changé.


L’ancienne capitale, Mozambique, fut construite dans une île par la nécessité de se garder des tribus cruelles de la côte. D’un aspect gracieusement suranné qui fait penser aux Lusiades, elle impose par sa forteresse antique aux lignes romaines, sévères et élégantes dans une teinte grise de ruines. Il semble que, désert, ce château de féodalité tropicale soit devenu une citadelle d’arbres, car des cocotiers en débordent par-dessus des masses de manguiers, et la mer a jeté au bas de ces bastions comme des amarres de lianes d’un vert doré. De cette redoute à la ville s’allonge un boulevard de badamiers constamment éventés par l’alizé. Mozambique fait face à l’Océan comme les casbahs orientales, chaque demeure formant fort : d’un coloris vieux mauve, vieux rose, vieux jaune, les maisons mosaïquent leurs tons de poterie dépolis par l’air salin. Sur le barachois se pro- mènent des files de commis suffisans qui sifflotent la Tonkinoise, se dandinant en des costumes blancs. A l’aile du palais du Gouvernement s’élève le clocher de l’église, rose à galons blancs, pareil à une bannière de confrérie. Sur la place éblouissante jouent les cuivres du régiment.

La ville se révèle aimable, avec un aspect de largesse, par la propreté des rues régulièrement percées, la tenue des façades bien empesées, le style original des fenêtres au cintre contourné. Les squares sont nombreux, bercés du bruissement des filaos. Un silence harmonieux de ville vide, décor qui n’a plus d’acteurs ! Les rues qui se trouvent encore les plus animées sont celles où se suivent, éclairés par des lustres de cristal, les magasins de banians, puis les rez-de-chaussée, illuminés à la manière