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nautoniers, naviguons dans la même barque et ramons ensemble. » Naïves images que je choisis à dessein dans les premières lettres ; on voit bien qu’elles ne sont pas de factices ornemens du langage, les vaines élégances d’une imagination fleurie : elles sont l’expression spontanée d’une âme mystique et qui aperçoit partout de secrètes correspondances. « La nature dans sa simplicité, dans sa virginité, est profondément chrétienne ; elle est remplie de solennelles tristesses et d’ineffables consolations... Les montagnes surtout disent beaucoup de choses à l’âme dont elles sont en quelque sorte l’image : richesse et nudité, hauteurs sans mesure, abîmes sans fond... » C’est pour le croyant que la nature est une forêt de symboles. Chez Ozanam la poésie ne se sépare pas de la foi : elle est faite de la même étoffe.

Connaissance des littératures étrangères, sentiment de la nature, sentiment poétique qui prend sa source dans le sentiment chrétien lui-même, s’unissent pour faire du livre sur les Poètes franciscains le chef-d’œuvre d’Ozanam. C’est d’abord la description du pays, l’évocation de la scène, cette Ombrie si captivante et déjà théâtre de grands événemens. Puis voici, peinte pour la première fois, avec toutes les délicatesses d’un pinceau saintement amoureux, la figure du bienheureux d’Assise : sa folie inspirée, son amour de la pauvreté, sa communion avec nos frères inférieurs, sont analysés par un psychologue qui n’a pas d’effort à faire pour entrer dans ces secrets d’une âme toute possédée de la ferveur divine. François meurt et la basilique qu’on lui élève à Assise sert de berceau à une renaissance des arts. De Cimabue à Giotto, un cortège de grands artistes défile devant nous ; puis, de la colline d’Assise nous voyons descendre à leur suite toute une génération de poètes. Frère Pacifique avait été dans le siècle un littérateur : c’est lui que saint François, quand il improvisait ses cantiques, chargeait de les réduire à un rythme plus exact, « donnant ainsi un grand exemple de respect pour ces règles de l’art dont les bons esprits ne se dispensent jamais. » Saint Bonaventure rédigea la Légende de saint François ; mais surtout on lui doit le culte poétique de la Vierge et la touchante coutume de l’Angelus. Après lui, Jacopone de Todi, l’auteur du Stabat, est un grand poète. Ozanam a peint avec un relief vigoureux la figure aux contrastes violens de cet homme extraordinaire qui passe de l’extase à