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montagnes et les mers, des jouissances toutes neuves. On s’en donnait à cœur joie de peindre le paysage. On ne se contentait pas d’en goûter le charme, on lui prêtait une influence, une action historique. Désormais, ce sera la mode de demander au milieu physique le secret des événemens qui s’y sont passés : c’est le décor qui expliquera la pièce. Le voyage ne sera plus seulement plaisir de badaud : il deviendra moyen d’information pour l’historien. Au mois d’octobre 1840, ayant à faire un cours de littérature allemande du moyen âge, Ozanam croit « nécessaire pour ses besoins d’imagination et pour la satisfaction de sa conscience » de voir, au moins en courant, les bords du Rhin, théâtre de toute cette poésie barbare, germanique, franque, à l’étude de laquelle il va se livrer. N’est-il pas curieux de rappeler qu’à la même époque Victor Hugo faisait ce même voyage pour en rapporter les notes du Rhin et aussi les Burgraves ? Ozanam veut étudier son sujet sur les lieux mêmes, afin de mettre à profit leur puissance évocatrice. Une visite à Assise, en 1847, précède ses articles sur les Poètes franciscains qui paraissent au Correspondant en 1848. Il a écrit : « Je ne puis me représenter un pays que je n’ai pas vu ; » et ailleurs : « En trois jours de séjour, j’ai vu trois cents ans d’histoire. » Un voyage en Sicile le passionne parce que là, plus que partout ailleurs, il retrouve l’antiquité et le moyen âge chrétien. En Bretagne, il voit se lever du sol les souvenirs, les traditions, les légendes relatives au christianisme. Burgos met sous ses yeux la scène principale du moyen âge espagnol : c’est la terre des chevaliers, c’est la terre des saints. Ce besoin d’une vision concrète, cet art de déchiffrer le contenu idéal qui s’est inscrit dans les choses et de les interroger comme des survivantes et des témoins du passé, est très significatif du moment où écrit Ozanam. La nature et l’archéologie viennent de recevoir leur droit de cité littéraire. On fait connaissance avec l’âme des paysages, la poésie des ruines, le langage des pierres.

Le romantisme est encore le lyrisme : son plus grand honneur restera probablement d’avoir été une magnifique école de poètes. Ozanam est naturellement poète. Les images naissent d’elles-mêmes sous sa plume. On en rencontre à chaque page dans sa correspondance : « Nos âmes sont comme deux jeunes étoiles qui se lèvent ensemble et s’entre-regardent à l’horizon... » « L’avenir est devant nous, immense comme l’Océan ; hardis