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suspecter la sincérité de son christianisme. Il est clair que de tels reproches ne sauraient s’appliquer à Ozanam. « Toutes les littératures, sacrées et profanes, que sont-elles autre chose, se demande-t-il, que les caractères avec lesquels Dieu écrit son nom dans l’esprit humain, comme il l’écrit dans le ciel avec les étoiles ? » Voilà la doctrine dans toute sa profondeur et l’idée dans toute sa pureté radieuse.

Inspirée de Chateaubriand, l’œuvre d’Ozanam baigne dans le romantisme. J’en pourrais citer toute sorte d’exemples, rien n’étant plus complexe que le phénomène de l’évolution littéraire auquel on a donné ce nom de mouvement romantique. Au romantisme Ozanam doit ce goût de l’histoire qui transformait alors tous les genres, le drame et le roman, aussi bien que la critique et la philosophie. Du romantisme vient cette réhabilitation du moyen âge, que certains, raillés par Sainte-Beuve, enjolivent et banalisent, dont un Ozanam évoque le chaos fécond et la confusion créatrice. J’insisterai seulement sur quelques points essentiels, dont le premier est la curiosité pour les littératures étrangères.

Cette fois, c’est à Mme de Staël que nous songeons. Son nom est représentatif de l’introduction en France des littératures du Nord ; mais quand elle publiait son livre De l’Allemagne, elle ne faisait que consacrer un mouvement commencé depuis longtemps et désormais irrésistible. Notre XVIIIe siècle français est tout pénétré de la pensée anglaise, à laquelle vient s’ajouter, à la veille de la Révolution, la pensée allemande. Le XIXe siècle avait à installer dans l’école l’enseignement des littératures étrangères. Ce fut la nouveauté qu’y apporta Fauriel ; c’est la voie où Ozanam s’engagea après lui. Il savait les langues étrangères, — s’en étant muni de bonne heure, dans le dessein que j’ai indiqué, — l’anglais et l’allemand comme l’italien et l’espagnol ; il avait même une teinture des langues orientales. Ainsi des perspectives s’ouvraient pour lui dans beaucoup de sens, et lui révélaient tout un monde d’idées que l’esprit classique avait ignorées, et que peut-être il n’eût point voulu connaître.

A cette forme de l’exotisme s’en rattache une autre : c’est l’entrée du « voyage » dans la littérature. Le sentiment de la nature extérieure, tenu en bride par la raison classique, s’était, comme on sait, affranchi avec Rousseau. Maintenant il était déchaîné. On trouvait, à contempler les champs et les bois, les