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intervenu. Mais à mesure que l’ancienne Rome perd du terrain et des batailles, à mesure qu’elle vit et qu’elle épuise contre les barbares ses trésors, ses armées, tout ce qu’elle avait de pouvoir, une autre Rome, toute spirituelle, sans autre puissance que la pensée et la parole, recommence la conquête. C’est la conquête de la barbarie gagnée à la civilisation par le christianisme. L’art, la philosophie, la littérature du moyen âge en seront les fruits. A travers le labeur d’une lente gestation, Ozanam s’achemine vers les splendeurs religieuses du XIIIe siècle où il trouvera, comme il dit, son paradis : ce sera la matière de ses livres sur les Poètes franciscains et sur Dante. L’œuvre ainsi restituée dans son ordre logique, sinon dans sa chronologie, — les deux volumes sur la Civilisation au cinquième siècle ne parurent qu’après la mort de leur auteur, — présente un ensemble aussi solide que brillant.

On voit tout de suite d’où elle procède. C’est la continuation du mouvement créé par Chateaubriand. C’est l’application de l’idée même qu’avait développée et illustrée de tout l’éclat de son imagination, celui qu’on exalte aujourd’hui comme un grand enchanteur, merveilleux ouvrier de mots et assembleur d’images, mais afin de lui enlever l’honneur d’avoir été un apologiste du christianisme, et l’un de ceux dont l’action fut le plus efficace. Avec une parfaite sûreté de coup d’œil, l’auteur du Génie du christianisme avait su choisir le terrain sur lequel, à cette date, devait être portée la discussion. Déjà, au XVIIe siècle, le Jansénisme, en répandant une conception religieuse d’une austérité admirable, mais étroite et dangereuse, avait commencé d’isoler l’idée chrétienne du sentiment artistique. Le XVIIIe siècle fit plus : il les opposa. Le christianisme fut présenté comme une religion de barbarie, d’ignorance et de laideur. On donnait comme preuves : l’organisation de la société au moyen âge et l’architecture de nos cathédrales. C’est contre ce lieu commun de la polémique anti-religieuse qu’il fallait réagir : il est difficile de contester que Chateaubriand y ait réussi. Le christianisme a été source d’inspiration littéraire et artistique ; la beauté des œuvres qu’il a inspirées sert à prouver la vérité des dogmes sur lesquels il repose : telle est l’idée dont Chateaubriand, une fois pour toutes, a fait sa propriété. On lui en a voulu d’avoir mis trop souvent à une pensée grave une parure frivole ; on a incriminé son épicurisme d’imagination ; même on n’a pas craint de