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dans toute son étendue et l’histoire des croyances religieuses dans toute sa profondeur : voilà ce que j’ai à faire pour parvenir à l’expression de mon idée... » Cette idée, c’est « la perpétuité, le catholicisme des idées religieuses, la vérité, l’excellence, la beauté du christianisme. » Il y revient en plusieurs endroits de sa correspondance, vers la même époque. Ce n’est pas un de ces mille projets vagues et en l’air qui naissent et s’évanouissent dans un brouillard de rêve au ciel de nos vingt ans : c’est un dessein bien arrêté. Du jour où il a commencé à penser par lui-même, Ozanam a voulu être un apologiste de la religion chrétienne, et il a choisi sa méthode. Son point de vue est celui de l’historien et du lettré ; son système consiste à montrer « la religion glorifiée par l’histoire. »

Tel était le plan de l’édifice. Il est sans exemple qu’une vie d’homme ait suffi à élever en son entier quelqu’une de ces vastes constructions qui sont comme des palais d’idées ; et la vie d’Ozanam fut courte : il mourut à quarante ans. Du moins eut-il le temps d’en achever d’importantes parties. Il est aisé de voir comment chacune se rapporte à l’ensemble et concourt à une même démonstration. Dans la Civilisation au cinquième siècle, Ozanam, prenant le contre-pied de la théorie des philosophes du XVIIIe siècle, établit que le christianisme, bien loin d’avoir été l’ennemi de la civilisation antique, l’a empêchée de périr, et qu’il a ainsi sauvé du naufrage la science, les institutions sociales, les arts. « L’historien Gibbon avait vu sortir des portes de la basilique d’Ara Cœli une procession de franciscains. Il forma le dessein de venger l’antiquité outragée par la barbarie chrétienne : il conçut l’Histoire de la décadence de l’empire romain. Et moi aussi, j’ai vu les religieux d’Ara Cœli fouler les vieux pavés de Jupiter Capitolin ; je m’en suis réjoui comme de la victoire de l’amour sur la force, et j’ai résolu d’écrire l’histoire du progrès à cette époque où le philosophe anglais n’aperçut que décadence... » Voilà l’idée du livre, considéré comme livre d’histoire générale. « Je ne sais rien, ajoute Ozanam, de plus surnaturel, ni qui prouve mieux la divinité du christianisme que d’avoir sauvé l’esprit humain. » Et voilà le même livre prenant son sens apologétique. Cette méthode était déjà celle des Études germaniques. L’auteur y établit que le génie romain n’avait pas suffi pour faire l’éducation des peuples du Nord, que la barbarie allait triompher, si un principe nouveau n’était