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de croyances religieuses dans un travail scientifique m’accuseront de manquer d’indépendance, mais je ne sais rien de plus honorable qu’un tel reproche. Je ne connais pas d’homme de cœur qui veuille mettre la main à ce dur métier d’écrire sans une conviction qui le domine, dont il dépend par conséquent. » Empressons-nous de remarquer qu’ici encore on ne saurait séparer Ozanam de son temps. Il défendait le catholicisme dans son cours, comme l’attaquaient dans les leurs un Michelet et un Quinet, — dont il n’avait pas la violence. C’était la conception d’alors. Quand Ozanam fut nommé à la Sorbonne, on savait qui il était et ce qu’il se proposait de faire : on ne lui demanda aucunes concessions. Pendant tout le temps que dura son enseignement, il n’eut de difficultés ni avec ses chefs hiérarchiques ni avec son public. Cela est à l’éloge du public, du professeur et de ses chefs. A l’heure actuelle, et puisqu’il s’agit d’enseignement universitaire, c’est-à-dire d’un enseignement d’Etat donné pour tous, nous ne saurions accepter sans ménagemens une théorie d’après laquelle un cours officiel servirait à l’apologie d’un idéal politique, social ou religieux. Certes, les intimes convictions de l’homme se laissent toujours deviner à travers l’enseignement du professeur ; mais cet enseignement ne doit pas être un moyen mis au service de ces convictions, si nobles soient-elles. Sans doute un enseignement neutre, à prendre le mot dans la rigueur du terme, serait un enseignement sans âme, sans personnalité, sans portée, si ce n’était surtout une chimère ; quelque sujet qu’on traite, on y apporte une tournure d’esprit qui est « de l’homme même ; » mais ce n’est pas la même chose que de faire, en Sorbonne, dans une chaire d’histoire ou de littérature, — et que ce soit au bénéfice d’une doctrine ou d’une autre, — œuvre de polémique ou d’apologétique.

L’œuvre tout entière d’Ozanam est une œuvre d’apologétique. C’est ce qui en fait l’unité, et cette unité apparaîtra singulièrement saisissante, si l’on songe que, dès l’âge de dix-huit ans, le jeune homme avait déjà conçu et arrêté dans ses grandes lignes le plan général que, plus tard, il devait suivre. C’est de Lyon, le 15 janvier 1831, qu’il écrit à son ami Fortoul : « Connaître une douzaine de langues pour consulter les sources et les documens, savoir assez passablement la géologie et l’astronomie pour pouvoir discuter les systèmes chronologiques et cosmogoniques des peuples et des savans, étudier enfin l’histoire universelle