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explique la double tendance qui caractérise son esprit. On a souvent signalé le mysticisme familier à l’âme lyonnaise : Ozanam est né religieux. Le tourment de l’infini, l’aspiration à l’au-delà, le besoin de tout rapporter à Dieu, sont des traits essentiels de sa nature. A cette piété native se joint un goût de la beauté, un sentiment de l’art qui chez lui n’est pas moins instinctif. C’est la part de l’Italie. A moitié Italien par le lieu de sa naissance et par les origines de sa famille, une nostalgie le ramenait sans cesse vers ce pays, but préféré de ses voyages et de ses études, seconde patrie de son imagination. Religion et beaux-arts, christianisme et littérature, c’est tout Ozanam.

Pour le bien connaître, et pénétrer aussitôt dans son intimité, il faut aller tout droit au séjour qu’il vint faire à Paris, ses études classiques une fois terminées, comme élève de l’École de droit. La partie de sa correspondance relative aux cinq années qu’il passa dans ce Paris en ébullition, où la révolution de 1830 avait échauffé toutes les têtes, est de beaucoup la plus intéressante ; et je ne crois pas qu’on puisse trouver dans aucun recueil épistolaire rien de plus noble et de plus touchant. Ce qui frappe d’abord, dans ces lettres de la vingtième année, c’est la qualité de l’ange de celui qui les a écrites avec toute l’ardeur de la jeunesse, mais d’une jeunesse qui n’est éprise que de perfection morale. Sa bonne étoile avait conduit le petit Lyonnais chez Marie Ampère ; celui-ci, à qui il plut tout d’abord, l’installa chez lui, rue des Fossés-Saint-Victor, et lui donna pour camarade son fils, J.-J. Ampère. En dépit de cette heureuse chance, Ozanam se sent isolé dans Paris ; la grande ville, immense et corrompue, lui inspire une sorte de terreur. Il éprouve le besoin de se grouper avec quelques camarades ayant mêmes convictions que lui, et de former une phalange d’élite qui pourra opposer sa résistance aux mauvais courans du siècle : un but charitable sera entre eux le meilleur gage d’union. Ce fut l’origine des Conférences Saint-Vincent de Paul. « A Paris, écrit Ozanam, nous sommes des oiseaux de passage, éloignés pour un temps du nid paternel et sur lesquels l’incrédulité, ce vautour de la pensée, plane pour en faire sa proie. Nous sommes de pauvres jeunes intelligences, nourries au giron du catholicisme et disséminées au milieu d’une foule inepte et sensuelle... Eh bien ! il s’agit avant tout que ces faibles oiseaux de passage se rassemblent sous un abri qui les protège, que ces jeunes