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doute à cet égard. Ma conduite ne pourra donner aucun soupçon à ta sœur ; avec la même discrétion de la part de Mme de Sillery et de la tienne, nous éviterons les malheurs que tu veux me faire redouter, qui, s’ils étoient possibles, me tueroient bien certainement, mais que je ne me reprocherois jamais, car je ne les aurois certainement pas causés.

« Voilà, mon cher enfant, ce que je pense, je suis bien malheureuse, bien tourmentée, et ta peine ajoute essentiellement à tout ce que j’éprouve, mais il falloit bien toujours te la faire puisque tout naturellement l’époque où devoit finir l’éducation de ta sœur étoit peu éloignée.»


Dans le mois qui suivit l’orageuse explication, la Duchesse résiste à toutes les pressions ; on ne manque pas d’attribuer cette énergie inattendue à l’influence de Mme de Chastellux qui, présentée par Mme de Genlis au Palais-Royal, y avait pris la place qu’elle-même occupait jadis dans l’affection de Madame d’Orléans.

Il va de soi que la nouvelle amie ne fut pas épargnée dans les représailles de son ancienne bienfaitrice devenue son ennemie. En un mot, c’est l’enfer au Palais-Royal, au point que la santé de la Duchesse s’en ressent si gravement qu’elle implore, près de son mari, quelque trêve dans cette lutte sans merci.

... « Je vous écris, parce que, pour le moment, je suis absolument hors d’état d’éprouver une scène et, comme j’imagine que votre intention n’est pas précisément de me tuer, nous n’aurons pas de conversation aujourd’huy sur des objets que vous traitez de manière à m’achever. Tout est réuni pour me mettre au désespoir ; vous estes indifférent pour ce qui me regarde et d’une dureté sans exemple. Vous sçavez que j’ai une perte, vous voyez que je suis dans un état affreux, vous ne m’en dites seulement pas un mot, vous ne me demandez seulement pas de mes nouvelles et vous m’écrivez la lettre la plus révoltante pour une femme et pour une mère. Ce n’est donc pas à votre cœur que je m’adresse, mais je ne cesserai de m’adresser à votre justice, parce que je vous ai toujours vu en avoir et que vous reviendrez à votre état naturel. »


Voici donc la constatation bien établie que le Duc d’Orléans n’était plus, aux yeux de sa femme, dans son « état naturel. »