Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit, je prends pour ce qui me regarde toutes les précautions propres à tromper sa sensibilité. Tu as ajouté que tu étois décidé ainsi que ton père à instruire ta sœur, et à lui apprendre l’état des choses, ce seroit donc toi, dans ce cas-là comme je te l’ai dit aussi, qui voudrois la tuer, car quant à ton père, il est si loin de vouloir causer une révolution à ta sœur, qu’il m’a priée de ne la pas faire sortir dans la crainte qu’elle entendit quelque chose qui pût lui donner des soupçons, cela ne seroit sûrement pas arrivé, mais comme je suis fort d’avis qu’il faut prendre des précautions, même inutiles, je n’ai pas fait la moindre difficulté et j’ai consenti à me priver du plus grand plaisir. Ton père d’ailleurs m’a dit qu’il t’avoit mis au fait de ce qui existoit, parce qu’il avoit confiance en toi et, comptant sur ta discrétion, c’est donc sous le secret qu’il t’a dit ce que tu sçais.

« Quant à apprendre à ta sœur comment Mme de Sillery a donné sa démission, je crois trop à ton amitié pour elle, à ta tendresse pour moi, pour imaginer que tu fis cette démarche si tu croyois, comme tu me l’as dit, qu’elle dût tuer ta sœur, qu’elle dût avoir les conséquences que tu m’as dit ; si tu le croyois, je te le répète, tu es trop attaché à ta mère et à tes devoirs pour te laisser aller à un procédé aussi condamnable.

« Je suis si convaincue qu’il dépend absolument de Mme de Sillery d’épargner à ma fille des épreuves trop fortes pour sa sensibilité en prétextant une raison quelconque, pour faire un voyage, comme elle en a déjà fait un, que je suis tranquille à cet égard, car sûrement elle aime trop ta sœur, et l’honesteté seule suffiroit pour cela, elle m’a trop souvent répété qu’il étoit extrêmement coupable aux personnes qui élevoient des enfans d’exciter en eux des mouvemens de sensibilité violens, qu’il dépendoit toujours d’elles de les leur épargner, pour que je puisse partager les inquiétudes que tu as voulu me donner. D’ailleurs tu m’as dit que, dans six ans, ce seroit la même chose, ainsi c’est un mal sans remède, car il falloit toujours en venir là. Tu as ajouté cependant que si Mme de Sillery et moi nous étions bien quittés : alors c’eût été différent ; comme je ne demande pas mieux assurément, il ne tient qu’à elle que cela soit. Mme de Sillery a voulu donner sa démission à ton père il y a un mois, il l’a refusé, je le tiens d’elle-même et ton père me l’a encore confirmé : tu vois donc qu’elle peut se prêter à ce que je désire. Elle m’a d’ailleurs répondu de manière à ne me laisser aucun