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la plus légère démarche à leur égard sans vous consulter, sans avoir votre approbation... Plus on a souffert avec douceur, et plus on se sent aigrie lorsqu’on éprouve le comble des humiliations et des malheurs. »


Enfin, le Duc de Chartres, qui avait oublié le chemin du Palais-Royal, y revient pour essayer une suprême tentative. Ce fut certainement le plus rude assaut qu’eut à subir la volonté de la Duchesse, si désarmée devant ceux qu’elle chérit. Son fils essaie de la fléchir par le motif qu’il sait le plus propre à trouver son cœur, c’est à-dire la crainte de compromettre la santé, peut-être même la vie de sa fille. Mais il ne parvient pas à dissimuler ses vrais sentimens et, par quelques paroles échappées au cours de l’entrevue. Madame d’Orléans acquiert la triste certitude qu’elle voulait toujours repousser : elle ne compte plus pour ses enfans...

Avec une tendresse navrée, elle laisse entendre à son fils qu’elle a trop bien senti à quelle influence il avait obéi en la venant trouver :

« La scène attendrissante que nous avons eue ensemble, mon cher ami, m’a fait bien du mal, ma santé est dans un état de foiblesse, et mon cœur est si déchiré que des émotions dans le genre de celles que tu m’as fait éprouver me sont mortelles. Redis-toi bien que, de mes enfans, dépend à présent mon bonheur ou mon malheur, s’ils sont pour moi comme j’ai droit de l’attendre. S’ils répondent à mon extrême tendresse pour eux, je serai heureuse ; si, au contraire, je suis forcée de reconnoître que leur attachement pour moi n’est que secondaire (tu penses bien que ce n’est assurément pas de ton père dont je pourrois vouloir parler, je ne serai jamais jalouse des préférences que mes enfans lui donneroient sur moi), ils me mettront le poignard dans le cœur, et je pleurerai toute ma vie la foiblesse que j’aurai eu de compter trop sur la voix de la nature, et de m’estre persuadée que personne ne pourroit prendre ma place dans leur cœur. Après que tu as été parti, et que j’ai été un peu remise, je me suis encore rapellé avec étonnement plusieurs choses que tu m’as dites, que tu n’as certainement pas réfléchies, que tu ne penses même pas, mais qui ont été l’effet de ton trouble. Tu sçais que j’ai été forcée à ce qui arrive, la chose étant faite, tu me dis que je veux tuer ta sœur, tandis que, comme je te l’ai