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préface, ou par un autre livre conçu dans un esprit sensiblement différent. Et c’est ainsi qu’après avoir écrit Aloÿse Valérien, — dont le titre primitif avait été la Femme nue, — il écrivit les Unis, où il a voulu montrer « comment, quoi qu’en pensent certains réformateurs, les perturbations passionnelles ne tiennent pas aux défauts des institutions et des lois, mais à la nature même des hommes et à l’opposition permanente de leurs instincts individuels et des exigences de la vie en société. » Les Unis, — qui ne sont pas d’ailleurs le meilleur roman d’Edouard Rod, — sont une apologie indirecte du mariage par une peinture, peut-être un peu caricaturale, de l’union libre. La conclusion qui s’en dégage, c’est que l’union libre présente, — au moins, — autant d’inconvéniens que le mariage, et peut-être plus, et que, pour rendre l’homme heureux et parfait, ce n’est pas le mariage qu’il faut « élargir, » c’est la nature humaine elle-même qu’il faudrait changer.

Cette conclusion, très juste et très sensée, il eût été difficile de la tirer d’Aloÿse Valérien. Ainsi Rod nous fournit toujours le moyen de corriger Rod par lui-même : et le meilleur correctif de ses romans passionnels, nous le trouvons dans ses romans sociaux.


IV

J’en arrive à l’une des parties les plus intéressantes et les plus originales de l’œuvre d’Edouard Rod, à celle qui, peut-être, lui survivra le plus : je veux parler de ses romans suisses. Je ne crois pas que ce fût celle que, personnellement, il appréciât le plus : il écrivait trop facilement, disait-il, ces sortes de livres. Et il est certain que, pour écrire des romans de mœurs parisiennes ou provinciales, il lui fallait faire un effort, souvent heureux, nous en convenons, mais qui, parfois, l’est moins, et, presque toujours, se fait sentir. Dans ce genre-là, il a des rivaux, d’illustres rivaux, et des modèles : pour se différencier des uns et des autres, pour découvrir et creuser son sillon propre, il a quelques précautions à prendre, une vigilance plus inquiète à exercer. Peut-être aussi la matière de son observation lui est-elle plus lointaine, moins familière. Dans cette course à l’originalité personnelle qu’est la vie littéraire contemporaine, on risque parfois ou de forcer sa nature, ou de perdre en chemin