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ton aimable mine. Je te suis dans la route avec la plus tendre affection et tu m’as dit tant de choses douces et sensibles le jour et la veille de ton départ que je vis avec elles.

Mme de Staël s’était installée à Saint-Ouen, l’ancienne terre de son père où s’était écoulée sa brillante jeunesse et qui était encore sous séquestre. Mais elle avait obtenu la permission d’y résider. Les lettres de M. Necker portent la singulière suscription suivante qui rappelle encore les temps révolutionnaires : « À la citoyenne Staël, Saint-Ouen, » par Franciade. » Franciade, c’est Saint-Denis. Les lettres elles-mêmes, en cette année 1798, présentent peu d’intérêt. Elles ne contiennent presque aucune allusion aux affaires de France. Le « héros » est en Egypte et il n’arrive que de rares nouvelles de lui. Cependant, lorsque M. Necker est informé par les papiers publics du désastre d’Aboukir, il écrit à sa fille :

Je te vois douloureusement affligée du malheur arrivé à la flotte française et je partage ta peine. Réfléchis, pour ta consolation, que c’est un seul échec à la suite et au milieu de tant de succès…

Les autres lettres sont presque toutes des lettres d’affaires. M. Necker se trouvait alors aux prises avec d’assez sérieuses difficultés dans la gestion de sa fortune. « Mon père avait perdu par la révolution de Suisse et par le séquestre de son dépôt en France les trois quarts de sa fortune, » dit Mme de Staël dans la notice dont j’ai parlé. Peut-être exagère-t-elle un peu ; mais il est certain que, d’une part, la mise sous séquestre de ses biens en France et en particulier de deux millions qu’il avait laissés en dépôt au Trésor au moment de son départ, d’autre part, la suppression des droits féodaux, conséquence de la proclamation de la République en Suisse et de l’incorporation de Genève à la France avaient fait une brèche sensible à ses revenus. Mme de Staël prévoyait depuis longtemps cette suppression. Rendant compte à son mari, quelques années auparavant, des progrès de l’esprit révolutionnaire dans son pays d’origine, elle ajoutait : « Tout ce qui leur plaira, excepté la suppression des droits féodaux. » Les droits féodaux avaient été abolis cependant, et les revenus du baron de Coppet, — c’était le titre auquel avait droit M. Necker, — avaient été singulièrement diminués par cette suppression. Quant à son dépôt de deux millions, le remboursement lui en avait bien été offert, mais en biens du clergé. Il