Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réflexions personnelles, ou de quelles expériences intimes, ou de quelles circonstances extérieures et fortuites cette vocation est-elle née, ou s’est-elle développée ? C’est ce que nous n’avons ni à rechercher, ni à conjecturer ici. Le fait est là, qui se suffit à lui-même. Dans un cœur d’homme ou de femme, en dehors du mariage, la passion vient à éclater : comment cet homme ou cette femme vont-ils se comporter, et quelles vont être pour eux, et pour ceux auxquels leur vie est liée, les conséquences de leur conduite ? Telle est la question qui forme le fond d’un grand nombre des romans de Rod, et dont il a très ingénieusement diversifié les données, mais qu’il agite avec une inlassable inquiétude et une anxieuse complaisance. Ce qui fait pour lui, comme pour nous, l’intérêt de la question, c’est que ses héros ne sont pas des âmes vulgaires ; ils ont une conscience, et une conscience élevée et délicate ; à l’image de leur créateur, ils ont une invincible horreur de l’esprit gaulois, de ses traditionnelles plaisanteries, de ses sournoises tolérances ; les classiques mensonges, les plates banalités, les compromis commodes de l’adultère bourgeois ne sont pas leur fait ; ils veulent marcher la tête haute ; leurs passions ont besoin de vivre au grand jour ; ils préfèrent à la duplicité la souffrance. Et comme il arrive, leur loyauté même, leur intransigeance morale leur font accumuler des ruines. Hélas ! c’est peut-être qu’ils se font illusion sur eux-mêmes. Ce qu’ils prennent pour de la franchise, n’est-ce pas de l’orgueil ? Ce qu’ils appellent délicatesse, n’est-ce pas cruauté et monstrueux égoïsme ? En morale, ce ne sont pas seulement les intentions qui jugent et mesurent les âmes ; ce sont les actes. Et de deux faiblesses, la moins condamnable, n’en doutons pas, est celle qui sacrifie le moins de destinées et qui broie le moins de cœurs.

Michel Teissier, l’orateur éloquent, le champion infatigable du parti conservateur, unanimement respecté pour la probité de son caractère et pour l’intégrité de sa vie, en plein succès politique, en plein bonheur familial, est mordu au cœur par l’une de ces passions d’autant plus tenaces et envahissantes qu’elles s’insinuent sous le couvert d’une affection permise. Sa femme, qui l’aime passionnément, découvre ce douloureux secret et dicte ses conditions. Michel lutte de son mieux contre son fatal amour ; mais dans cette nouvelle atmosphère de gêne, d’aigreur et de méfiance mutuelles, la vie domestique n’est plus