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et il y aurait, dans une étude plus développée, à y insister longuement. Qu’il nous suffise de l’indiquer d’un mot. Dans une œuvre comme la sienne, il n’y a pas de compartimens rigides ou de cloisons étanches. De ses romans à sa critique il n’y a pas rupture, mais prolongement continu, transition insensible, et retentissement profond. Qui sait même si ses romans ne sont pas surtout des romans de critique ? Ce qui est sûr, c’est que la critique l’a maintenu en perpétuel contact avec le mouvement de la pensée de son temps, qu’elle a renouvelé constamment son fonds d’idées générales, et son œuvre romanesque lui a dû, pour une large part, cette variété un peu déconcertante, cet air d’inquiétude intellectuelle qui lui composent une physionomie bien distincte dans la littérature contemporaine.


II

À la fin d’un très pénétrant article sur Fogazzaro, Rod s’attarde, avec une visible complaisance, à l’analyse et à la discussion d’une bien curieuse conférence du grand romancier italien sur Une opinion d’Alessandro Manzoni. L’auteur des Fiancés avait déclaré « qu’on ne doit pas parler d’amour de manière à incliner l’âme des lecteurs vers cette passion ; » il estimait certes que « l’amour est nécessaire dans ce monde, mais qu’il y en aura toujours assez, » et qu’à « vouloir le cultiver, » et donc à « le provoquer là où il n’y en a pas besoin, » au détriment de tant d’autres sentimens plus rares et plus utiles à répandre dans les âmes, on fait « œuvre imprudente, » et dangereuse, et peut-être même moralement condamnable. Cette opinion avait paru un peu bien rude à Fogazzaro qui, pour échapper à ce rigorisme, avait distingué assez subtilement entre les diverses sortes d’amour, et conclu que seule une conception un peu basse du sentiment amoureux peut justifier pareil anathème. Et Rod, que la question intéressait au premier chef, l’envisageant avec sa ferme raison de moraliste vaudois, « réfutait douloureusement les argumens de l’orateur : »


Notre bon sens lui répondait, — écrivait-il, — qu’il n’y a qu’un seul amour, toujours le même, quelque grande part qu’il fasse à l’idéal, quelque divin qu’il soit ou qu’il se croie ; que, dans un nombre infini de cas, cet amour est contrarié par les lois, par les usages, par les convenances, par la morale ; qu’alors il devient une force destructive si terrible qu’elle est presque