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premiers à parler chez nous des préraphaélites anglais et des « véristes » italiens, le premier peut-être à nous révéler Fogazzaro. Nous lui devons une rapide monographie sur Dante, un très suggestif, encore que peut-être un peu partial et excessif, Essai sur Gœthe[1]. Et ses études sur Cavour ou sur Bœcklin, sur Schopenhauer ou sur Sudermann ne l’ont pas empêché d’écrire des livres sur Lamartine, sur Stendhal et sur Rousseau, et de fort intéressans articles sur Victor Hugo et sur Taine, sur Alphonse Daudet et sur Anatole France. En un mot, après avoir enseigne par la parole l’étude des littératures comparées[2], il a continué à les enseigner par la plume ; et peu d’écrivains français ont autant fait que lui, depuis vingt ou vingt-cinq ans, pour nous maintenir en perpétuel contact avec les œuvres et les personnalités littéraires originales de l’étranger. C’est là un service dont la patrie d’Emile Montégut et d’Eugène-Melchior de Vogué doit lui rester reconnaissante.

Un second trait de la critique d’Edouard Rod, c’est d’être, plus encore que littéraire, psychologique et morale. Assurément les questions d’esthétique, la valeur propre des œuvres ne lui sont pas indifférentes, et, à l’occasion, il les discute avec toute l’attention désirable. Mais, visiblement, ce n’est pas là ce qui l’attire le plus. Ce qu’il cherche dans les livres, c’est la vie ; ce qu’il leur demande, c’est de le renseigner sur la conception qu’il faut se faire de l’existence, sur la personnalité morale dont ils sont l’expression, plus ou moins déformée, et parfois trompeuse. Oserai-je le louer très vivement de cette manière d’entendre la critique ? Certes, les problèmes de pure forme, les questions de langue, de composition et de style ont leur importance. Mais toute la littérature, pour parler comme Pascal, ne vaudrait pas une heure de peine, si on la réduisait là. Si elle n’est pas avant tout une interprétation de la vie, qui seule la rectifie, la contrôle et la juge, si les idées ou les sentimens qu’elle exprime ne plongent pas leurs racines profondes dans notre vie intérieure, elle n’est alors que la plus puérile des amusettes, et il faut donner raison à la boutade du vieux Malherbe,

  1. Voyez sur ce livre et sur la façon dont il a été compris et accueilli, F. Baldensperger, Gœthe en France, Hachette, 1904, p. 325-330, et Bibliographie critique de Gœthe en France, Hachette. 1907, p. 223-225.
  2. Il est l’auteur d’une intéressante brochure De la littérature comparée, Genève, Georg. 1893.