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I

Edouard Rod critique mériterait une assez longue étude. Si à cet égard son œuvre n’a pas l’importance de celle d’un Bourget ou d’un France, par exemple, elle est bien loin d’être négligeable. Pour valoir tout son prix, il lui manque deux qualités, sinon essentielles, tout au moins plus précieuses qu’on ne semble le croire à notre époque : la décision de la pensée, et la grâce, la force où l’éclat du style. Un grand critique est celui dont l’être tout entier vibre et réagit puissamment au contact d’une œuvre littéraire, et qui, aussi capable d’admirations raisonnées que de « haines vigoureuses, » donne avec netteté, avec bravoure, les raisons générales de son goût personnel, et, au risque de se tromper, ne redoute pas le péril des opinions tranchées et des jugemens catégoriques. Et, d’autre part, il est un artiste à sa manière : pour traduire ses impressions, pour les faire passer dans d’autres âmes, il faut qu’il ait un style ; il faut qu’il sache trouver des alliances de mots, des comparaisons, des formules assez parlantes et assez vivantes pour figurer aux yeux de l’esprit l’exacte nuance de beauté qu’il se propose d’évoquer. En un mot, il ne saurait nuire au critique d’être tout à la fois un ferme penseur et un original écrivain.

Avouons-le : les études critiques d’Edouard Rod ne répondent pas toujours entièrement à cette double exigence. Trop porté à voir tous les aspects des choses et des questions, ses jugemens manquent souvent de la force, de l’autorité impérieuse qui entraînent les adhésions ou provoquent les contradictions ; et son style un peu gris, abstrait, parfois un peu lâché, ne met pas suffisamment en relief l’originalité des idées ou des impressions qu’il veut traduire. Évidemment, le très actif et fécond auteur de tant d’articles dont la plupart n’ont pas été recueillis en volume, travaillait très vite, et, si je puis dire, plus en largeur qu’en profondeur ; la multiplicité des sujets et des aperçus l’attirait. Peut-être aussi n’attachait-il pas à son œuvre critique toute l’importance qu’elle eût méritée ; il lui en eût, certes, coûté de renoncer à cette partie de son labeur, mais, en revanche, il n’y voulait pas consacrer trop de temps, et il réservait le plus clair de ses loisirs et tout son effort d’art à ses romans. Je ne voudrais pas me donner l’air et le ridicule