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écrit Montmorency, dont elle parlait à son mari dans ses lettres. En 1797, elle écrivit : Jean de Witt, tragédie en cinq actes et en vers. C’est la mention que porte un manuscrit tout entier de sa main. Le papier en est rude et épais, comme celui de presque tous les manuscrits de Mme de Staël. Le texte est fréquemment raturé, ce qui le rend par endroits difficile à déchiffrer. Le sujet du drame est le différend tragique de Jean de Witt avec Guillaume de Nassau. C’est naturellement Jean de Witt qui en est le héros, et, naturellement aussi, c’est en Hollande que se passe la scène, mais il est bien difficile de croire que ce ne soit pas la France dont Mme de Staël a voulu décrire l’état, lorsque, dès la première scène entre Jean de Witt et son confident Bergen, — car, suivant le procédé classique, Jean de Witt a un confident, — le confident s’exprime en ces termes :

Toi qui défends encore la liberté Batave,
Toi le seul citoyen de ce pays esclave,
Jean de Witt, c’est assez ; les talens, les vertus
S’épuisent maintenant en efforts superflus.
On peut sauver l’État et non la République.
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La liberté n’est plus qu’une arme dangereuse
Qui sert à soulever la foule factieuse
Et les amis adroits de l’absolu pouvoir,
De l’ordre et de la paix vous présentant l’espoir,
Attachent les esprits au sceptre militaire
Dont on veut que Nassau soit le dépositaire.
................
Faut-il dans un seul chef trouver notre défense ?
Faut-il du peuple entier soulever la puissance ?
Pour nos antiques lois son respect est détruit.
Par un espoir nouveau toujours on le séduit.
Un prince, un nom fameux ranimerait son zèle.
Indigne d’être libre, il peut être fidèle
Et c’est une vertu pour ce peuple aujourd’hui
Que d’adorer un maître et de mourir pour lui.

Il est bien difficile également de ne pas croire qu’elle a traduit ses propres sentimens et les appréhensions des rares fidèles de la liberté en face de l’attitude énigmatique du « héros, » lorsqu’elle met dans la bouche de Jean de Witt les vers suivans :

Bergen, un seul devoir à ce pays me lie.
S’il cesse d’être libre, il n’est plus ma patrie.