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elle que je haïsse, je l’atteindrais mieux que je ne le fais, mais elle monte les têtes et je ne veux pas qu’elle soit à Paris. Elle peut aller chez Melzi, où elle voudra, même à Lyon, à Bordeaux, mais pas à Paris ni aux environs, » — et sans ajouter un mot qui dise le terme de cet exil. Du reste, j’avais demandé un délai de huit jours et il m’a été refusé. Je n’aurai pas de gendarme pour m’accompagner, mais il m’en vient un, déguisé, tous les matins pour me rappeler que je n’ai que vingt-quatre heures et que j’en prends davantage, puisque c’est avant-hier samedi que l’ordre m’a été apporté. Un article du Code civil dit positivement qu’une Française mariée à un étranger lorsqu’elle devient veuve, résidant en France, reprend ses droits de Française. J’ai écrit cela au Grand Juge en demandant un passeport que d’abord on ne voulait pas me donner ; le passeport m’a été envoyé pour la Suisse et l’Allemagne, mais il n’est rien dit sur ce passeport qui puisse faire présumer si je suis Française ou non. Le Consul a toujours parlé de ma vivacité, de ma manière de monter les têtes ; rien absolument, rien de plus ne m’a été rapporté, du moins rien d’autre, et même il a parlé avec calme, disant que tout ce qui avait du pouvoir sur lui avait essayé en vain de le faire changer. Il y a quelque chose là-dedans de bien effrayant pour l’avenir, et je le sens avec un désespoir qui me tue. Si tu as jamais eu l’idée de me sauver, vois, mon ange tutélaire, si tu as quelques moyens pour cela. Écris-moi à Strasbourg, je m’en remets à toi, j’y attendrai tes lettres. Les nouvelles de paix sont tombées. Ah ! ta pauvre fille, cher ami, ne devait pas être traitée ainsi ! Je donnerais tout au monde pour te revoir, mais ailleurs qu’où tu es ; enfin cependant écris-moi à Strasbourg ; j’y attendrai tes volontés.

Joseph vient chez moi ce matin pour me dire adieu. Si tu as eu des lettres de mes amis, tu me l’écriras, n’est-ce pas ?

Elle partait en effet le lendemain non pour Strasbourg, mais pour Metz, où certaines raisons, que je dirai plus tard, l’attiraient. À Bondy, c’est-à-dire aux portes de Paris, elle s’arrêtait encore, et de l’auberge elle écrivait une dernière fois à son père :

Ce 25 octobre. Bondy.

Je n’ai pas de lettres de toi par ce courrier ; j’ai envoyé à Paris pour le savoir et on ne m’a rien apporté. Cela m’inquiète extrêmement ; je crains que cette secousse ne t’ait rendu malade, et je te conjure de m’écrire à l’instant, poste restante, à Metz. Il y a de mes amis qui voudraient que je restasse là tout l’hiver comme étant plus près de revenir après l’événement de la descente ; écris-moi là ce que tu penses. Berlin me distrairait plus ; Genève est de tous les endroits celui où l’on reste le plus quand on y est ; Metz est ridicule. Hélas ! que devenir ! Frédéric doit être arrivé quand tu recevras cette lettre. Tu pourrais m’envoyer Bosse à Francfort avec les parures ; enfin écris-moi le plus tôt possible à Metz. Donne-moi un conseil, un secours qui me fasse du bien ; sans toi je n’aurais pas survécu à ce que je souffre. Les amis sont pour Metz, du moins les amis qui entourent le gouvernement ; d’autres disent qu’il n’y a pas de dignité à cela ; ceux qui