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muette, vint à son secours ; il me semble qu’étant de son état, il lui serait plus utile[1].

J’ai été attendrie jusqu’aux larmes, cher ami, de ton petit mot pour Albertine : offre-lui mes respects, on ne refuse ce sentiment de personne. Il n’y a que toi sur la terre qui puisse trouver les expressions qui remuent le cœur jusqu’au fond, et la petite, quand je le lui ai expliqué, en a pleuré. C’est une charmante créature, mais légère comme cela doit être à son âge. Sa santé est améliorée par l’air de France, et, si je pouvais lui donner des maîtres, elle y gagnerait sûrement beaucoup de grâces. Pour Auguste, il faut que je me décide à le mettre en pension ; il perd trop de temps avec moi. J’ai un peu commencé les affaires de la succession, mais la distance nuit à tout. J’ai seulement découvert une dette nouvelle de 22 mille livres à Hambourg et d’un M. Ferbert ; des gens qui disent qu’ils n’ont pas un sol. Ce résultat est triste : cependant j’espère toujours arriver successivement à quelques arrangemens en ménageant ta pauvre fortune, source de notre vie à tous.

Cher ami, je t’aime avec un attendrissement qui me fait mal, et c’est à force de t’aimer que je te le dis moins ; il y a dans mon cœur, sur ce sujet, tant de tendresse que si je la remue trop, il faut mourir. Élise et Henri ont-ils paru[2] ? Veux-tu me permettre de réunir cette nouvelle à un recueil de nouvelles que je veux faire, et ne pas la faire vendre, mais seulement la donner, si elle est imprimée séparément. L’abbé de Montesquiou a reçu l’ordre en Gascogne, où il était, de ne pas revenir à Paris ; M. de Chateaubriand est tout à fait en disgrâce ; il a couru même le risque d’être arrêté parce qu’il avait écrit par un courrier à Mme de Beaumont qu’il était beaucoup mieux traité que le cardinal Fesch. Aussi quelle sottise d’écrire cela. Il ne paraît pas que l’affaire de la conquête du Portugal soit abandonnée ; cependant la Russie s’est alliée avec lui. Il y a des gens qui disent que nous sommes plus froidement avec la Russie ; moi, je crois que ce bruit vient de ce qu’on est ici extrêmement mécontent de M. de Markoff ; on le lui témoigne ouvertement. Je t’ai dit que M. Talon était au Temple. Tu sais combien c’est un mauvais sujet ; le Premier Consul s’est exprimé sur lui très vivement. As-tu reçu une lettre de mon ami Mathieu, le même jour que mon billet de Nangis. Il est si excellent pour moi que je désire que tu lui répondes, et lui aussi, je l’ai aperçu, le souhaite. Tu dois aller à Genève le 1er de novembre, tu me l’as promis. Avant ce temps, ce que je ferai sera décidé. Quant à l’argent que je pourrais me procurer chez M. Vandevehen, un homme très capable parmi ses prédécesseurs, à qui Monis avait rendu service à Genève autrefois, assure que son entreprise ne réussira pas, qu’il avait refusé d’entrer dans cette spéculation, il y a sept ans, parce qu’il la regardait comme mauvaise ; c’est un avis d’un grand poids. Quant à M. Récamier, personne ne me paraît avoir d’inquiétude sur lui.

J’ai écrit à Fornier[3] un petit billet pour l’informer de ma marche, mais rien de plus. Il a fait entrer mon homme bien mystérieusement et l’a chargé de bien des complimens pour moi, en ajoutant que c’était tout ce qu’il

  1. J’ignore également qui est ce Michel.
  2. C’était une petite nouvelle que M. Necker avait récemment composée.
  3. Fornier était un ancien ami de la famille Necker.