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que Sidney a promis de faire enlever Bonaparte, et, en conséquence, deux généraux ont été conduits au Temple ; on disait que c’était à la parade qu’ils voulaient le tenter. Quelle absurdité ! Mais beaucoup de gens sont mécontens parce que les hommes nouveaux seuls sont employés.

Mme de Talleyrand a établi à Valencay, terre de M. de Talleyrand, une école de douze petites filles ; elle en a fait les règlemens. M. de Talleyrand, en les recevant, a dit : « C’est une seconde Coppet de Maintenon. » La belle-sœur de Malouet a demandé à être mise à la tête de cette école.

Il paraît certain qu’il y a un très vif débat entre Joseph et son frère. Le Premier Consul voulait qu’il fût chancelier. Joseph a déclaré qu’il n’accepterait qu’une place qui lui donnerait un pouvoir réel, celle de président de la Régence, en l’absence du Consul. Il dit beaucoup que le Premier Consul le traite fort mal, qu’il le fait espionner, qu’il a eu tort de faire la guerre, que la descente est scabreuse, et qu’enfin il veut ou se trouver dans une situation, si son frère était tué, à pouvoir se défendre, ou avoir la sauvegarde de sa modération. Tout cela est d’une raison parfaite et Lucien s’y associe complètement. Il a de plus eu la bonté de compter, parmi ses raisons d’être mécontent, la manière dont on me traitait, et Lucien a parlé pour moi à sa prière. J’avais donc assez d’espérance, et j’en ai encore, puisque Joseph a promis de parler, qu’il a dit qu’à ma place il irait à Paris. Mais hier Mme de Vaines[1] (on m’a depuis assuré que non) a dit que le Premier Consul avait paru étonné de ce qu’elle avait dit que j’étais à six lieues de Paris, croyant que c’était dix, et qu’il a déclaré que, si j’avançais davantage, il me ferait prendre par quatre gendarmes et reconduire à Coppet. Tu vois que je. supprime toutes les réflexions. De plus et bien de plus, Benjamin a été voir Fouché, qui lui a dit que, demain samedi 15 vendémiaire, quatre gendarmes viendraient me prendre ici pour me conduire de brigade en brigade jusqu’à la frontière ; il est vrai que les circonstances de ce discours me font croire qu’il était uniquement chargé de m’effrayer, car il répétait toujours : « Ce n’est pas du Consul que je sais cela ; » mais comme il affirmait en même temps que cela serait, le bruit du tambour m’a fait assez mal ce matin. Tout cela est-il supportable ? Benjamin lui a fort bien répondu, mais l’autre a repris : Et vous, n’avez-vous pas reçu d’ordre ? — Non, a dit Benjamin, mais pourquoi en recevrais-je ? — Pourquoi, pourquoi ? Voilà une belle question ; est-ce qu’on demande jamais pourquoi dans ce pays-ci ? Au reste je n’ai pas entendu parler de vous. Si j’étais resté ministre[2], Mme de Staël n’avait rien à craindre, mais je lui ai bien dit que, moi dehors, elle avait perdu toute garantie. — Il envoie tous les huit jours chez Moreau pour lui annoncer qu’il sera arrêté, et il semble que sa police volontaire se fait ainsi maintenant. Pendant qu’il disait tout cela, il y avait chez lui un nommé Duperret, chef des gueux, qui est exilé à quarante lieues de Paris pour avoir diné chez Faber ; la police de Dubois qui l’a trouvé là, l’a dénoncé,

  1. Il y eut un Jean de Vaines qui fut conseiller d’État et membre de l’Institut et sur lequel M. Masson a lu à l’Institut une intéressante notice. Il mourut en 1803. Peut-être cette Mme de Vaines était-elle sa femme.
  2. Le ministère de la Police ayant été supprimé en 1802, Fouché n’était plus en fonction, mais il continuait à faire de la police occulte. Dubois était préfet de police.