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M. de Staël un arrangement qui me permette d’honorer sa mémoire sans ruiner mes enfans. J’espère que votre bonté et, s’il m’est permis de le dire, votre justice ne se borneront point à ces deux mois. Pourquoi renverseriez-vous la destinée d’une femme qui n’a de sa vie fait de mal à personne ? Pourquoi forceriez-vous une mère à chercher ailleurs que dans sa patrie les ressources nécessaires à l’éducation de ses enfans ? Enfin surtout, à la hauteur où vous êtes placé, pourquoi vos regards tomberaient-ils sur moi, si ce n’est par un sentiment de protection et de bienveillance.

Agréez, Citoyen Consul, l’hommage de mon respect.

Je ne reproduis cette lettre que d’après un brouillon, mais il n’y a point de doute qu’elle fut envoyée, car nous verrons Mme de Staël, dans une seconde lettre qu’elle adressa, le mois suivant, au Premier Consul, faire allusion à la réponse qu’elle reçut. Cette réponse ne fut point directe, car elle se trouverait assurément dans les archives de Coppet, mais Bonaparte paraît cependant s’être laissé fléchir et lui avoir fait savoir indirectement qu’il l’autorisait à séjourner à quelques lieues de Paris. C’était un commencement de satisfaction donnée à l’ardent désir de Mme de Staël de rentrer tout au moins en France. Elle se hâta donc d’accepter la proposition que lui fit son notaire de venir habiter une petite maison que celui-ci possédait à Maffliers, dans le département de l’Oise, à quelques lieues de Paris. C’était, pour reprendre l’expression de Garat, la niche où elle espérait pouvoir s’abriter, en attendant mieux La confiance renaissait dans son cœur et elle fixait son départ de Coppet à la fin de septembre.


III

Sans croire aux pressentimens, on ne saurait cependant méconnaître que, dans la nuit où nous vivons, il y a certains momens où une lueur fugitive semble éclairer l’avenir et où un obscur instinct nous avertit des épreuves qu’il nous prépare. J’ai dit déjà que chaque départ de Coppet était un drame, mais jamais séparation du père et de la fille ne fut aussi douloureuse que celle-ci qui devait être la dernière, car ils n’étaient point destinés à se revoir. Rien cependant ne donnait à craindre que la mort planât sur la tête de M. Necker. Sans doute il avait soixante et onze ans, et les années d’un septuagénaire ne sont jamais que des années de grâce, mais il ne semblait point atteint dans sa santé qui avait toujours été robuste. L’affection