Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si vous aviez, a-t-il dit, des vérités utiles à révéler, il était dans les convenances que vous commençassiez par lui, et vous ne deviez les livrer au public, si tant est pourtant que vous le dussiez, que quand l’homme que vous appelez nécessaire les aurait méconnues et repousse es.

Après avoir mis la conduite de M. Necker en parallèle avec celle de Calonne qui, lui aussi, avait fait parvenir un mémoire financier au Premier Consul, mais en secret, Lebrun ajoutait :

Des propos échappés à Mme de Staël, des démarches plus qu’indiscrètes de gens qu’on sait être ses confidens les plus intimes l’ont convaincu qu’elle avait travaillé votre opinion et influé sur vos ouvrages. Il pense qu’elle veut du mouvement dans quelque sens qu’il s’opère, et quoiqu’il ne craigne rien des rumeurs de société, il ne veut pas qu’on le croie assez faible ou assez imprudent pour laisser l’administration en proie aux sarcasmes.

La lettre se terminait ainsi :

Vous voyez qu’avec une pareille opinion, toute tentative est inutile. Je ne sais si le temps pourra changer les dispositions, mais je ne puis vous en donner aucune espérance.

M. Necker demeurait « confondu » de cette lettre. C’est l’expression dont il se sert dans une longue réponse qu’il adressait à Lebrun « comme à un ancien ami, » car, disait-il, « dans mon trouble, ce serait un travail pour moi d’approprier toutes mes paroles au langage parfaitement mesuré qu’exige une correspondance avec le magistrat consulaire. » Dans cette réponse, il déclarait, « au nom de la vérité et sur la foi de l’honneur, » que son ouvrage avait été composé en l’absence de Mme de Staël, et qu’elle n’avait eu aucune part à la détermination qu’il avait prise de le publier. Loin de l’y exciter, elle aurait même, au moment de l’impression, montré quelques inquiétudes. Après avoir cherché à justifier encore une fois sa fille des propos inconsidérés qu’on lui prêtait, il continuait en faisant une longue apologie de ce malencontreux ouvrage, et il terminait en exprimant l’intention de venir lui-même à Paris tout à la fois pour plaider la cause de Mme de Staël et pour défendre ses intérêts propres[1] en même temps que ceux de ses petits-enfans compromis par la liquidation de la succession de M. de Staël.

  1. M. Necker poursuivait toujours la restitution des deux millions laissés par lui au Trésor.