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régnait dans la conversation, et la Révolution qui a succédé a donné longtemps l’habitude des controverses politiques. Elle a pu être tardive à se mettre en harmonie avec la réserve commandée par un nouvel ordre de choses, à s’y mettre du moins parfaitement… Mais, en laissant le passé et en priant le Consul de pardonner ce qui aurait pu lui déplaire, je suis certain que Mme de Staël aura désormais la circonspection la plus parfaite. Voilà un grand éveil qu’elle reçoit, et ma fille vient de déposer entre mes mains la promesse d’adopter le genre de vie que vous aurez la bonté de lui conseiller et de renoncer fermement à toute espèce de conversation sur le gouvernement et la politique, objets d’esprit pour elle et qu’elle peut si facilement remplacer par d’autres. Elle prendra même la liberté d’adresser cet engagement au Premier Consul dès le premier signe qu’elle recevra d’un retour d’indulgence et de bonté de sa part.

M. Necker allait jusqu’à offrir de se rendre à Paris pour être « le surveillant » de sa fille et « son garant auprès du gouvernement. » Enfin, après avoir fait valoir encore en faveur de Mme de Staël les souvenirs de sa mère à l’action bienfaisante de laquelle la Commission des hospices venait tout récemment de rendre un public hommage, il terminait sa lettre en disant :

Je ne sais si j’aurais aussi des titres à transmettre. Je me souviens seulement qu’en d’autres temps, j’aurais mieux attendu de la France que l’exil de mes enfans.

Une sorte de post-scriptum ajoutait ces quelques lignes :

J’aurais pris la liberté d’écrire au Premier Consul, mais je n’ai pas osé lui adresser directement une lettre où j’étais forcé d’entrer dans plusieurs détails domestiques, et pourtant je crois à ses affections de famille, même au milieu des vastes intérêts dont il a le gouvernement. Je serais moins craintif, si j’ai, comme je l’espère, des hommages de reconnaissance à lui présenter.

Cette lettre que l’amour paternel arrachait à M. Necker et dont la dernière phrase relève cependant le ton, était, ce semble, de nature à toucher. Mais le Premier Consul n’était guère homme à s’attendrir aux chagrins d’une femme ou à la douleur d’un père. La réponse que M. Necker allait recevoir de Lebrun, datée du 16 germinal, était faite pour lui enlever toute illusion. Après lui avoir, en guise de préambule, donné l’assurance que le Premier Consul était arrivé au pouvoir avec une opinion prononcée en sa faveur, il avait le regret de l’informer que son dernier ouvrage, « lancé dans le public, » avait détruit cette opinion favorable, et faisant parler Bonaparte lui-même, il continuait :