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voyant bientôt grand-père, il courut, tout joyeux, annoncer sa découverte à Monique. Celle-ci prit la nouvelle d’une tout autre façon. Epouvantée, à l’idée des dangers que courait la vertu de son fils, elle le chapitra. Mais Augustin, du haut de ses seize ans, se moqua d’elle : « Radotages de bonne femme ! De quoi se mêlait-elle de parler ainsi de ce qu’elle ne connaissait pas !... » De guerre lasse, Monique adjura son fils de se modérer au moins dans ses débordemens : « Qu’il évitât les courtisanes et surtout qu’il prît garde de ne point se souiller d’un adultère ! » Pour le reste, elle s’en remit à la volonté de Dieu.

On peut s’étonner, — Augustin aussi s’étonne, — qu’elle n’ait pas songé alors à le marier. En Afrique, on se marie de bonne heure. Maintenant encore, tel laboureur arabe achète une femme à son fils à peine âgé de quinze ans, pour éteindre dans le mariage le feu d’une jeunesse trop bouillante. Mais Monique, qui n’était pas encore une sainte, se comporta, dans cette circonstance, en bourgeoise avisée et pratique : une femme serait une chaîne pour un jeune homme comme Augustin, dont la destinée s’annonçait si brillante. Un mariage prématuré compromettrait son avenir. Avant tout, il importait qu’il devint un rhéteur illustre, qu’il relevât le prestige de la famille. Tout cédait, pour elle, devant cette considération. Elle espérait du moins que le fougueux étudiant voudrait bien être sage par surcroit.

Cette manière de voir était également celle de Patritius. « Et ainsi, dit Augustin, mon père ne s’inquiétait pas, ô mon Dieu, si je croissais dans ton amour, ni si j’étais chaste, pourvu que je devinsse éloquent... Ma mère et lui allaient même jusqu’à me lâcher la bride dans mes amusemens... » Pourtant, Patritius venait de se faire inscrire (bien tardivement) parmi les catéchumènes. Les instances de sa femme l’avaient gagné à la foi catholique. Mais ses sentimens n’en étaient pas devenus beaucoup plus chrétiens : « Il ne pensait guère à toi, mon Dieu ! » avoue son fils, qui pourtant se réjouit de sa conversion. S’il se décida à se convertir, ce fut probablement par politique ? Depuis la mort de Julien l’Apostat, le paganisme semblait décidément vaincu. L’empereur Valentinien venait d’édicter des peines sévères contre les sacrifices nocturnes. En Afrique, le comte Romanus persécutait les donatistes. Tout ce qu’il y avait de chrétiens à Thagaste était catholique. A quoi bon s’obstiner