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dans des pays inaccessibles, dans un monde disparu et qui ne reviendrait jamais. Pour Augustin, au contraire, ce monde-là, c’était celui où il était né, c’était son Afrique païenne où le plaisir était le tout de la vie, où l’on ne vivait que pour la volupté. Et la race des princesses fabuleuses n’était point morte : elles attendaient toujours le bien-aimé dans les palais de Carthage. Oui, l’écolier de Madaure vécut des heures merveilleuses à rêver ainsi de l’amour, entre les pages de ses poètes, Ces rêves juvéniles qui précèdent l’amour sont plus enivrans que l’amour même : c’est tout un monde inconnu que l’on découvre, où l’on entre, avec le frémissement de joie de la découverte, à chaque pas que l’on fait. La force intacte de l’illusion semble inépuisable, l’espace est plus profond, le cœur est plus puissant…

Longtemps après, lorsque, désabusé, Augustin nous parlera de l’amour divin, il saura bien quel en est le prix infini, pour avoir éprouvé toutes les ivresses misérables de l’autre. Il nous dira, avec la certitude de l’expérience : « La délectation du cœur humain dans la lumière de la vérité et l’abondance de la sagesse, la délectation du cœur humain, du cœur fidèle, du cœur sanctifié est unique. Vous ne trouverez rien, dans aucune volupté, qui puisse lui être comparé. Ne dites pas que cette volupté est moindre, car ce qu’on appelle moindre, n’aurait qu’à croître pour devenir égal. Non, je ne dirai pas : toute autre volupté est moindre. Cela ne peut se comparer. C’est d’un autre ordre, c’est une autre réalité. »


VI. — LES VACANCES DE THAGASTE

Dans la ville d’Apulée, le fils de la chrétienne Monique devenait un franc païen. Il approchait de sa seizième année : la crise de la puberté commençait pour lui. Préparée à Madaure, elle éclata tout à coup à Thagaste.

Augustin revint chez ses parens, sans doute à l’époque des vacances. Mais ces vacances se prolongèrent peut-être une année entière. Il avait terminé ses humanités. Les grammairiens de Madaure ne pouvaient plus rien lui apprendre. Pour couronner ses études, il lui fallait suivre les cours de quelque rhéteur en renom. Or, il n’y avait de bons rhéteurs qu’à Carthage. C’était une mode, un point d’honneur aussi pour les familles numides