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jusqu’à la satiété, sinon qu’on ne résiste point à Cypris, que la vie n’a pas d’autre but que l’amour ? Aimer pour aimer, l’amour pour l’amour, voilà le thème habituel de ces voluptueux, les Catulle, les Properce, les Tibulle, les Ovide. Après l’aventure de Didon, le lecteur ingénu s’éprenait de l’aventure d’Ariane, plus troublante encore, parce que nul remords n’en tempère la démence. Il lisait :

Tandis que le héros oublieux s’enfuit, battant l’onde de ses rames et jetant au vent du large ses vaines promesses, — debout parmi les algues de la plage, la fille de Minos le suit de ses beaux yeux douloureux ; elle regarde, pétrifiée, pareille à une bacchante changée en statue. Elle regarde, et son cœur flotte sur les grandes vagues de son chagrin. Elle laisse glisser de sa tête sa mitre délicate, elle arrache les voiles légers qui couvraient sa poitrine et la fine ceinture qui retenait ses seins palpitans. Tout cela tombe de son corps, dans l’écume salée, qui joue à ses pieds. Mais elle ne se soucie ni de sa mitre, ni de ses voiles emportés par les flots. Perdue, égarée, de tout son cœur, de toute son âme, elle est suspendue à toi, ô Thésée !

Quand Augustin avait lu ces vers brûlans de Catulle, s’il feuilletait l’Anthologie de Carthage, le recueil en honneur dans les écoles africaines, il tombait sur La Veillée de Vénus, cette églogue qui se termine par un cri si passionné :

Oh ! quand viendra mon printemps ? Quand ferai-je comme l’hirondelle ? Quand cesserai-je de me taire ?... Qu’il aime demain celui qui un pas aimé encore ! Et que celui qui a déjà aimé aime demain encore !...

Qu’on se représente, sur un jeune homme de quinze ans, l’effet de semblables exhortations ! En vérité, ce printemps de l’amour, appelé par la détresse du poète, le fils de Monique sentait bien qu’il était venu pour lui. Comme il devait écouter le conseiller harmonieux et mélancolique qui disait sa peine aux feuillets du livre ! Quel excitant et quelle pâture pour ses désirs et ses rêves d’adolescent ! Et quel divin chœur de beautés les grandes amoureuses de l’élégie et de l’épopée antique, les Hélène, les Médée, les Ariane, les Phèdre, nouaient et dénouaient sans cesse dans sa mémoire éblouie ! Nous autres, quand nous lisions à son âge des vers pareils, une amertume se mêlait à notre ravissement. Ces héros et ces héroïnes étaient trop loin de nous. Ces êtres presque chimériques se reculaient pour nous,