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Mais ces résumés étaient bien arides pour une imagination comme celle d’Augustin. Il préférait de beaucoup l’Enéide, le poème le plus admiré des Africains, à cause de l’épisode consacré à la fondation de Carthage. Virgile était sa passion. Il le lisait et le relisait sans cesse, le savait par cœur. Jusqu’à la fin de sa vie, dans ses écrits les plus austères, il cite des vers, des passages entiers de son poète bien-aimé. L’aventure de Didon surtout l’émouvait jusqu’aux larmes. Il fallait lui arracher le livre des mains.

C’est qu’il y avait une harmonie secrète entre l’âme de Virgile et l’âme d’Augustin. Tous deux étaient tendres et graves. Lui, le grand poète et lui, l’humble écolier, ils eurent compassion de la reine carthaginoise, ils auraient voulu la sauver, adoucir au moins son malheur, faire fléchir un peu l’insensibilité d’Enée et la rigueur des destins. Mais quoi ? L’amour est une maladie sacrée, un châtiment envoyé par les Dieux. Il est juste, après tout, que la coupable subisse sa peine jusqu’au bout. Et puis de si grandes choses vont résulter de ce pauvre amour ! Le sort de deux Empires en dépend. Qu’est-ce qu’une femme devant Rome et Carthage ? Enfin, elle doit périr : les Dieux l’ont voulu... Il y avait, dans tout cela, une émotion contenue, une profondeur de sentiment, un accent religieux qui remuaient le cœur d’Augustin encore ignorant de lui-même. Cette obéissance du héros virgilien à la volonté céleste avertissait déjà, en lui, l’humilité du chrétien futur.

Certes, en ces troubles années de l’adolescence, Augustin n’entrevoyait que confusément la haute signification religieuse du poème de Virgile. Entraîné par sa nature fougueuse, il s’abandonnait au charme déchirant de cette histoire romanesque ; il la vivait littéralement avec l’héroïne. C’étaient de vrais cris qu’il poussait, lorsque ses maîtres lui donnaient à développer, en prose latine, les imprécations de Didon mourante. Sans défense contre les mirages du cœur et de la volupté, il épuisait en idée, et d’un seul coup, toute la force de la passion.

Tous les poèmes d’amour, il les dévora avec la ferveur d’une âme complice. S’il se plaisait au libertinage de Plante et de Térence, s’il lisait avec délices ces comédies où les pires faiblesses sont excusées et glorifiées, j’imagine qu’il se plaisait davantage aux élégiaques latins, chez qui s’étale, sans pudeur, la folie romantique de l’amour alexandrin. Que chantaient ces poètes