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surveillans. Car enfin à qui l’avait on confié ? Sans doute a un hôte de Patritius, un païen comme lui. Ou bien logeait-il chez son maître, un grammairien, qui tenait pension d’écoliers ? Presque tous ces pédagogues étaient païens eux aussi. Faut-il s’étonner que, dans un tel entourage, les leçons chrétiennes de Monique et des nourrices de Thagaste se soient effacées peu à peu de l’esprit d’Augustin ? Bien des années après, un vieux grammairien de Madaure, Maximus, lui écrivait sur un ton d’affectueux reproche : « Tu t’es éloigné de nous ; a secta nostra deviasti. » Voulait-il insinuer qu’à cette époque, Augustin aurait glissé au paganisme ? Rien de plus improbable. Lui-même nous assure que le nom du Christ resta toujours « gravé dans son cœur. » Mais, étant à Madaure, il se mêlait en indifférent aux païens et aux chrétiens.

D’ailleurs, l’enseignement qu’il recevait était tout pénétré de paganisme. Sans doute, il commença par y choisir ce qui lui plaisait, selon son habitude. Les esprits comme le sien se précipitent impétueusement sur ce qui peut leur servir de nourriture : ils rejettent tout le reste, ou le subissent de mauvaise grâce. C’est ainsi qu’il persévéra dans son aversion pour le grec : il fut un médiocre helléniste. D’instinct, il détestait les Grecs. Selon le préjugé occidental, ces hommes d’Orient étaient tous des coquins ou des baladins. En Africain positif, Augustin les considéra toujours comme des beaux esprits chimériques. En somme, ce n’étaient pas des gens sérieux, à qui l’on pût se fier. Le patriotisme tout local des auteurs grecs classiques agaçait aussi ce citoyen romain qui s’était accoutumé à considérer l’univers comme sa patrie : il les trouvait bien mesquins de s’intéresser si fort à des histoires de petites villes. Lui, il voyait plus haut et plus loin. Il est vrai qu’en cette seconde moitié du IVe siècle, l’hellénisme élargi et conscient de lui-même s’opposait de plus en plus à la latinité, surtout politiquement. II-formait un bloc impénétrable et hostile aux Occidentaux. Raison de plus, pour un Africain romanisé, de ne pas aimer les Grecs.

Il déchiffrait donc péniblement l’Iliade et l’Odyssée, se dépitant contre les difficultés d’une langue étrangère qui lui voilait la trame des beaux récits fabuleux. Il en existait pourtant des abrégés en usage dans les écoles, espèces de sommaires de la guerre de Troie, composés par des grammairiens latins, sous les bizarres pseudonymes de Darès le Phrygien et de Dictys de Crète.