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la tâche de l’Empire et de continuer sa tradition. Elles sont pour notre médiocrité un reproche permanent, une perpétuelle exhortation à la grandeur et à la beauté. Nul doute que les architectures de Rome n’aient produit sur Augustin, sur ce jeune Africain encore inculte, la même impression qu’aujourd’hui sur un Français, ou sur un homme du Nord. Certainement elles façonnèrent à son insu sa pensée et sa sensibilité ; elles prolongèrent pour lui la leçon des grammairiens et des rhéteurs latins.

Tout cela n’était pas précisément très chrétien. Mais, dès ces premières années d’école, Augustin se détachait de plus en plus du christianisme, — et les exemples qu’il avait sous les yeux, à Madaure, ne pouvaient guère l’encourager dans sa foi. C’était un milieu peu édifiant pour un adolescent catholique, qui avait l’imagination vive, le tempérament voluptueux, et qui aimait les lettres païennes. La majeure partie de la population n’était composée que de païens, surtout dans l’aristocratie. Les décurions continuaient à présider les fêtes en l’honneur des vieilles idoles.

Ces fêtes étaient fréquentes. On saisissait le moindre prétexte pieux pour enguirlander de feuillages les portes des maisons, pour saigner le porc ou égorger le mouton du sacrifice.. Le soir, on illuminait les places et les carrefours. De petites bougies brûlaient sur tous les seuils. Pendant les mystères de Bacchus, les curiales eux-mêmes conduisaient les réjouissances populaires. C’était un carnaval africain, brutal et coloré. On s’enivrait, on simulait la folie. Par jeu, on assaillait les passans et on les dévalisait. Les coups sourds des tambourins, les ritournelles hystériques et nasillardes des flûtes excitaient une grosse exaltation à la fois sensuelle et mystique. Et tout s’apaisait parmi les tasses et les outres de vin, les graisses et les viandes des banquets en plein air. Même en un pays sobre comme l’Afrique, les fêtes païennes n’étaient guère que des occasions de ripailles et d’orgies. Augustin qui, après sa conversion, n’a que des sarcasmes pour ce carnaval de Madaure, s’y laissa entraîner sans doute comme beaucoup d’autres chrétiens. Les gens riches et influens donnaient l’exemple. On craignait de les désobliger en faisant bande à part. Et puis on ne résistait pas à la douceur des festins.

Peut-être même était-il mené à ces agapes par ses propres