Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœurs désintéressés. Puis, la foi le prendra tout entier. Il ne percevra plus la création que par intermittences, dans une sorte de rêve métaphysique, et, pour ainsi dire, à travers la gloire du Créateur. En ces années de jeunesse, au contraire, les choses faisaient irruption en lui avec une violence et une suavité extrême. Ses sens irrassasiés se repaissaient de tout le banquet offert par le vaste monde à sa faim de voluptés. La beauté fuyante des choses et des êtres, avec tous leurs charmes, se révélait à lui dans sa fraîcheur : novissimaruin rerum fugaces pulchritudines, earumque swavitates. Cette frénésie de la sensation se retrouvera chez le grand docteur chrétien et se traduira dans les figures ardentes et colorées de son style. Certes il ne fut pas un descripteur profane, soucieux de composer des phrases qui font image ou d’ordonner des tableaux brillans : toutes ces recherches lui sont étrangères. Mais, d’instinct, par la seule vertu de son chaud tempérament d’Africain, il fut une manière de poète impressionniste et métaphysicien.

Si le paysage bucolique de Thagaste s’est reflété dans certains passages, — les plus doux ou les plus familiers, — des Confessions, toute la partie haute de l’œuvre d’Augustin rencontre ici, dans cette plaine aride et lumineuse de Madaure, son commentaire symbolique. Comme elle, la pensée d’Augustin n’a point d’ombres. Comme elle aussi, elle se colore de reflets étranges et splendides, qui semblent venir d’ailleurs, d’un foyer invisible aux regards humains. Nul écrivain moderne n’a plus célébré la lumière, — non pas seulement la lumière immortelle de la béatitude, — mais celle des champs d’Afrique, celle de la terre et de la mer, et personne n’en a parlé avec plus d’abondance et d’émerveillement. C’est qu’en aucun pays du monde, pas même en Egypte, aux pays roses de Karnak et de Louqsor, la lumière n’est plus pure ni plus admirable que dans ces grandes plaines désolées de la Numidie et des régions sahariennes. N’y a-t-il pas un enchantement pouf des yeux de métaphysicien dans ces jeux de la lumière, ces tissus de couleurs innommables qui semblent immatérielles comme les jeux de la pensée ? Le décor vaporeux et flottant est fait de rien : des lignes, des nuances, de la splendeur diffuse. Et toutes ces apparences fugaces et prestigieuses s’éteignent avec le soleil, rentrent dans l’ombre, comme les concepts dans les profondeurs obscures de l’intelligence qui se repose...