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il n’est point de petits voyages. On suivait la route militaire qui allait d’Hippone à Théveste, — une grande voie romaine pavée de larges dalles aux abords des villes, et soigneusement cailloutée sur tout le reste du parcours. Dressé sur la haute selle de son cheval, Augustin, qui allait devenir un infatigable voyageur, et, pendant toute sa vie d’évêque, courir sans cesse les chemins d’Afrique, — Augustin s’initia à la poésie de la Route : poésie à jamais perdue pour nous !

Qu’elles étaient amusantes, fertiles en spectacles, les routes africaines de ce temps-là ! On s’arrêtait dans des auberges aux murs épais comme des remparts de citadelles, avec leurs cours intérieures bordées d’écuries en arcades, pleines de ballots et de harnais entassés, avec l’abreuvoir et la citerne au milieu, et les petites chambres ouvertes sur le balcon en pourtour, où montait une odeur d’huile et de fourrage, et le va-et-vient des gens et des bêtes de somme, l’entrée majestueuse des chameaux courbant leurs longs cols sous le cintre du porche. On causait avec les marchands qui arrivaient du Sud, qui apportaient les nouvelles des pays nomades, qui contaient des histoires. Et l’on repartait sans hâte pour l’étape prochaine, on croisait les longues files de chariots qui menaient des vivres aux soldats des garnisons frontières, ou qui conduisaient vers les villes maritimes l’annone du peuple romain, — ou bien, de loin en loin, la chaise à porteurs ou à mulets d’un évêque en tournée, la litière aux courtines closes d’une matrone ou d’un grand personnage. Soudain, on s’écartait, les attelages se rangeaient au bord de la route, pour laisser passer, bride abattue, dans un nuage de poussière, un messager de la poste impériale...

Certainement, cette route d’Hippone à Théveste était une des plus fréquentées et aussi des plus pittoresques de la province : c’en était une des principales artères.

D’abord, l’aspect de la contrée est assez semblable à celui des environs de Thagaste. Le paysage montagneux et forestier continue à déployer ses mamelonnemens et ses nappes de verdures. On longe, par intervalles, la vallée profondément encaissée de la Medjerda. Au bas des pentes en précipices, on entend bruire la rivière sur les cailloux de son lit torrentueux, — et ce sont des descentes abruptes parmi les fourrés de genévriers, les racines émergeantes des pins en parasol. Puis, à mesure qu’on descend, le sol se fait plus pauvre, les espaces dénudés se multiplient.