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les écoliers dissipés. Assis autour de lui sur des bancs, ou accroupis sur des nattes, les enfans chantaient en chœur : « Un et un font deux, deux et deux font quatre, » — odieux refrain qui assourdissait tout le voisinage. L’école était quelquefois un simple hangar, ou une pergola champêtre, que des toiles tendues protégeaient tant bien que mal contre le soleil et la pluie, une masure louée à bas prix, ouverte à tous les vents, avec une moustiquaire accrochée devant la porte. On devait y geler en hiver et y rôtir en été. Augustin s’en souvient comme d’un ergastule de l’enfance.

Il détestait l’école et ce qu’on y enseignait : l’alphabet, le calcul, les rudimens de la grammaire latine et grecque. Il avait l’étude en horreur, celle du grec surtout. Cet écolier, qui devint à son tour un maître, répugnait aux disciplines scolaires. Esprit intuitif et prime-sautier, il ne pouvait s’astreindre aux lenteurs des méthodes. Il se butait aux difficultés, ou les pénétrait d’un seul coup. Augustin fut une des nombreuses victimes de l’éternelle erreur des pédagogues, qui ne savent point adapter leurs leçons à la diversité des intelligences. Comme la plupart des futurs grands hommes, il fut un mauvais élève. Il était souvent puni, battu, — et battu cruellement. Les verges du magister lui inspiraient une terreur inexprimable. Quand, roué de coups, il venait se plaindre à ses parens, ceux-ci riaient, se moquaient de lui, même la pieuse Monique. Alors, le pauvre enfant, ne sachant plus à qui recourir, se rappelait que sa mère et les servantes lui avaient parlé d’un Être très puissant et très bon, qui défend l’orphelin et l’opprimé. Il lui disait de tout son cœur :

— Mon Dieu, faites que je ne sois pas fouetté à l’école.

Mais le bon Dieu ne l’exauçait point, parce qu’il n’était pas sage. Augustin s’en désespérait.

Il faut croire que ces châtimens enfantins étaient bien cuisans, puisque, quarante ans après, il les dénonce avec abomination. Pour lui, ce sont des supplices comparables à la torture du chevalet et des ongles de fer. Rien n’est petit pour les enfans, surtout pour un sensitif comme Augustin. Leur sensibilité et leur imagination leur grossissent démesurément toutes choses. En cela aussi, les éducateurs se trompent souvent. Ils ne savent pas manier les âmes délicates. Ils frappent rudement, alors qu’une parole, dite à propos, toucherait plus efficacement