Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’aujourd’hui. Monique avait d’autres soucis que de surveiller ses garçons. C’était, pour eux, continuellement, la vie au grand air, qui fait les corps vigoureux et durs. Il faut se représenter Augustin et ses compagnons comme de jeunes chats sauvages.

Cette sauvagerie se donnait carrière à la balle et, en général, à tous les jeux où l’on se partage en deux camps, où il y a des vainqueurs et des prisonniers, où l’on se bat à coups de bâton et à coups de pierres. Les jets de pierres sont une habitude invétérée chez les petits Africains. Maintenant encore, dans les villes, notre police est obligée de sévir contre ces féroces bambins. Au temps d’Augustin, à Cherchell, l’antique Césarée de Maurétanie, la population enfantine était divisée en deux partis hostiles, qui se lapidaient réciproquement. A de certaines fêtes, les pères et les grands frères se joignaient aux enfans : le sang coulait, il y avait des morts.

L’évêque Augustin se rappelle sévèrement les « superbes victoires » qu’il remportait dans ces sortes de joutes. Mais j’ai peine à croire qu’un enfant aussi délicat (il fut malade presque toute sa vie) ait pu se plaire beaucoup à ces ébats brutaux. Si l’exemple des autres l’y entraînait, il devait les prendre surtout par le côté de l’imagination. Dans ces batailles où l’on se mesurait entre Romains et Carthaginois, entre Grecs et Troyens, il se croyait Scipion ou Hannibal, Achille ou Hector. Il goûtait déjà en rhéteur l’enivrement d’un triomphe, que lui disputaient chèrement des camarades plus forts et mieux pourvus de muscles. Il n’avait pas toujours le dessus, sauf peut-être quand il corrompait l’ennemi. Mais une jeune âme ardente comme la sienne ne pouvait guère se contenter de demi-victoires : il lui fallait exceller. Alors, il cherchait sa revanche dans les jeux où l’esprit a la plus grande part. Il écoutait les contes avec délices et les répétait à son tour à ses petits amis, essayant sur un auditoire puéril ce charme de parole qui, plus tard, allait lui soumettre les foules. On jouait aussi au théâtre, aux gladiateurs, aux chevaux et aux cochers. Certains camarades d’Augustin étaient les fils de riches citoyens qui donnaient de fastueuses réjouissances à leurs compatriotes. A l’approche des représentations dramatiques, des jeux de l’arène ou du cirque, une fièvre d’imitation s’emparait de ce petit monde enfantin. Tous les enfans de Thagaste singeaient les acteurs, les mirmillons,