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oiseaux abondent, petits et grands les aiment. Dans les cafés maures, dans les plus misérables gourbis, des cages de roseaux, toutes bruissantes de pépiemens et de battemens d’ailes, sont suspendues aux murs. Des cailles, des merles, des rossignols y sont emprisonnés. Le rossignol, l’oiseau chanteur par excellence, si difficile à apprivoiser, est l’hôte de luxe, l’habitant privilégié de ces cages rustiques. Avec la rose, il fait partie essentielle de la poésie arabe. Les bois de Thagaste étaient pleins de rossignols. Nul doute qu’Augustin enfant n’ait senti palpiter entre ses mains les petites gorges mélodieuses des oiseaux chanteurs. Ses sermons, ses plus graves traités en ont conservé le souvenir. Il en tire un témoignage en faveur du Verbe créateur qui a mis partout de la beauté et de l’harmonie. Dans le chant du rossignol, il retrouve comme un écho de la musique des mondes.

S’il aimait les oiseaux, en poète qui s’ignore, aimait-il autant à jouer aux noix ? Les « noix » ne sont qu’un jeu gracieux et malin, trop malin pour un petit garçon désintéressé et idéaliste. Il y faut de la présence d’esprit et de la circonspection. Les hommes mûrs s’y adonnent, comme les enfans. Une marche d’escalier, le pavé d’une cour sert de table aux joueurs. On étale sur la pierre trois coquilles et un petit grain de poix. Alors, dans un va-et-vient éblouissant, les mains brunes et prestes voltigent d’une coquille à l’autre, les sassent, les brouillent, escamotent le grain de poix, tantôt sous celle-ci, tantôt sous celle-là : il s’agit de deviner sous laquelle le petit grain s’est logé. Grâce à des procédés astucieux, le joueur habile sait le coller à ses doigts ou à l’intérieur de la coquille, et l’adversaire perd à tout coup. On triche avec une tranquille impudeur. Augustin trichait aussi : ce qui ne l’empêchait pas de dénoncer âprement les tricheries de ses partenaires.

Enfin, il n’eût pas été complètement de son pays, s’il n’eût, à l’occasion, menti et volé. Il mentait à son pédagogue et aux maîtres d’école. Il volait à la table de ses parens, à la cuisine et au cellier. Mais il volait en gentilhomme, pour faire des cadeaux et s’attacher des compagnons de jeux : il dominait ses camarades par des présens, trait de caractère essentiel chez ce futur dominateur des âmes. Des mœurs un peu rudes comme celles-là façonnent des natures libres et hardies. Ces enfans d’Afrique étaient beaucoup moins couvés, beaucoup moins morigénés