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dire, Seigneur mon Dieu, sinon que j’ignore d’où je suis venu ici, c’est-à-dire dans cette vie mortelle, ou plutôt dans cette mort vivante, car je ne sais quel nom lui donner… Or voici que, depuis longtemps, mon enfance est morte, — et moi je vis !… Mais, même avant ce temps, mon Dieu, toi, mes délices, ai-je été quelque part, ai-je été quelque chose ?… »

On songe, ici, à la prosopopée fameuse de Pascal : « Je ne sais ni qui m’a mis au monde, ni ce qu’est le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses… Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j’ignore lo plus est cette mort même que je ne saurais éviter. »

Les phrases des Pensées ne sont que l’écho des phrases des Confessions. Mais combien le ton est différent ! Le réquisitoire de Pascal contre l’ignorance humaine est impitoyable. Le Dieu de Port-Royal a le visage dur et fermé de l’antique Destin : il se dérobe dans les nuées, et ne se montre qu’à la fin pour relever sa pauvre créature. Chez Augustin, l’accent est tendre, confiant, vraiment filial, et, s’il est inquiet, on y sent frémir un espoir invincible. Au lieu d’accabler l’homme sous la main de fer du Justicier, il lui fait sentir la bonté du Père, qui a tout préparé, bien avant sa venue, pour le petit enfant misérable : « Seigneur, les consolations de ta miséricorde m’ont reçu dans la vie, comme me l’ont appris mes parens selon la chair… En venant au monde, j’ai goûté la douceur du lait de la femme. Ce n’était pas ma mère ni mes nourrices qui remplissaient leurs mamelles, c’est toi qui me donnais par elles la nourriture de l’enfance, ainsi que tu l’as établi… »

Et voilà que son cœur se fond à ce souvenir du lait maternel. Le grand docteur humilie son style, le rend simple et familier, pour nous parler de ses premiers vagissemens, de ses colères et de ses félicités enfantines. Lui aussi, il était père ; il savait, pour l’avoir vu de ses yeux, tout près de lui, ce que c’est qu’un nouveau-né et qu’une jeune mère qui l’allaite : toutes les petites misères qui se mêlent aux joies de la paternité, il les avait éprouvées. Il se retrouvait lui-même dans son fils.


Cet enfant, né d’une mère chrétienne, et qui devait être le grand défenseur de la foi, ne fut point baptisé, en naissant.