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élans de vertu sont décisifs pour l’éternité de leur sort. Tout leur sera compté par le juste Juge. Le vol d’une pomme pèsera peut-être autant dans la balance du jugement que le rapt d’une province ou d’un royaume. La malice de l’intention fait la malice du péché. Or, le sort d’une âme, créée par Dieu, en dépend. Dès lors, tout, dans une vie humaine, prend un sérieux, une importance extrêmes. Dans l’histoire d’une créature, tout vaut la peine d’être examiné, pesé, médité, et, peut-être aussi, pour l’édification des autres, raconté.

Voilà une façon toute nouvelle de concevoir la vie, et, par contre-coup, d’entendre l’art. De même que les esclaves, grâce au christianisme, sont entrés dans la cité spirituelle, de même les réalités les plus chétives vont, avec lui, entrer dans la littérature. Les Confessions seront le premier modèle de l’art des temps nouveaux. Un réalisme profond et magnifique, parce qu’il plonge jusqu’au divin, — bien distinct, en tout cas, de notre réalisme superficiel de dilettantes, — va sortir de cette conception neuve. Sans doute, pour Augustin, toute chose contient de la beauté, en tant qu’elle est un reflet de l’ordre et de la pensée du Verbe. Mais elle contient aussi un autre caractère plus essentiel : elle a une valeur, une signification morales. Toute chose, en effet, peut être l’agent de la chute ou de la rédemption d’une âme. La plus infime de nos actions peut avoir sur notre destinée des répercussions infinies. Considérés sous cet angle, les choses et les êtres se mettent à vivre d’une vie à la fois plus solidaire et plus intime, plus individuelle et plus générale. Tout se tient, et pourtant tout est séparé. Notre salut ne regarde que nous, et pourtant il se lie, par la charité, à celui de nos frères.

Voyons, dans cet esprit, le berceau d’Augustin. Regardons-le avec les yeux d’Augustin lui-même et, peut-être aussi, de Monique. Penché sur l’image débile du petit enfant qu’il a été, il se pose toutes les grandes questions désespérantes, que l’humanité agite depuis des millénaires. Le mystère de la vie et de la mort se présente à lui, formidable. Il en est tourmenté jusqu’à l’angoisse et jusqu’à l’égarement : « Laisse-moi, mon Dieu, parler à ta miséricorde, moi qui ne suis que cendre et poussière. Laisse-moi parler, puisque c’est à ta miséricorde et non à l’homme, qui se moquerait de moi, que je m’adresse. Et toi aussi peut-être, tu te ris de moi, mais, par un tendre retour, tu me prendras en pitié. Qu’est-ce donc que je veux