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contenu de son couffin, et elle s’en revenait modestement au logis.

Si sobre et si réservée qu’elle fût, ses sorties prêtaient néanmoins à la médisance. Elles irritaient un mari soupçonneux. Tous les Africains le sont. Ce n’est pas, l’Islam qui a inventé la jalousie conjugale. D’ailleurs, au temps de Monique, les hommes et les femmes participaient aux agapes funéraires, dans une inquiétante promiscuité. Patritius s’en offusquait, et de bien d’autres choses encore. Sa vieille mère exaspérait ses soupçons en lui rapportant les méchans propos et même les calomnies des servantes contre sa femme. A force de patience, de douceur, de prévenances, Monique finit par désarmer sa belle-mère et par la convaincre de sa conduite irréprochable. La vieille s’emporta contre les servantes qui avaient menti, et elle les dénonça à son fils. Patritius, en bon père de famille, les fit fouetter, pour leur apprendre à ne plus mentir. Grâce à cette correction exemplaire et à la sagesse de la jeune femme, la paix se rétablit dans le ménage.

Les amies de Monique s’étonnaient que la bonne harmonie ne fût pas troublée plus souvent, du moins d’une manière apparente, entre les deux époux. Tout le monde, à Thagaste, connaissait le tempérament colérique et violent de Patritius. Et pourtant on ne disait point, on ne remarquait pas qu’il battît sa femme. Les autres matrones, qui avaient des maris plus doux, étaient néanmoins battues par eux. Quand elles venaient chez Monique, elles lui montraient les traces des coups qu’elles avaient reçus, leurs figures tuméfiées par les soufflets, et elles se répandaient en invectives contre les hommes, accusaient leurs débauches, qui, disaient-elles, étaient cause de ces mauvais traitemens.

— Prenez-vous-en à votre langue ! ripostait Monique.

Selon elle, il fallait fermer les yeux sur les désordres des maris, et, quand ils se mettaient en colère, éviter de leur répondre. Le silence, la soumission étaient des armes souveraines. Et comme, étant jeune femme, elle avait un certain enjouement naturel, elle ajoutait en riant :

— « Rappelez-vous ce qu’on vous a lu, le jour de votre mariage. On vous a dit que vous êtes les servantes de vos maris. Ne vous révoltez pas contre vos maîtres !... »

Il y avait là peut-être une fine critique du code païen, si dur dans ses prescriptions. Mais la loi romaine était, en cela, d’accord