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(Comme la femme se revanchait alors de la longue contrainte du gynécée ! Et quel scandale pour un mari élevé à la romaine !) Mais les pratiques de la vie chrétienne établissaient une sorte de divorce intermittent entre deux époux de religion différente. Monique sortait fréquemment, seule ou accompagnée d’une servante dévouée. Il fallait assister aux offices, courir la ville pour visiter les pauvres, distribuer les aumônes. Et il y avait les jours de jeûne, qui revenaient deux ou trois fois par semaine, enfin le grand jeûne du carême : empêchement fâcheux, quand le mari voulait donner à diner précisément ces jours-là ! Aux vigiles des fêtes, Monique passait une partie de la nuit à la Basilique. Régulièrement, le dimanche sans doute, elle se rendait au cimetière, ou à quelque chapelle élevée à la mémoire d’un martyr, qui, souvent, y était enterré : on appelait d’ailleurs ces chapelles des « mémoires, » memoriæ.

Ces chapelles étaient nombreuses, — trop nombreuses même au gré des chrétiens sévères. Monique allait de l’une à l’autre, portant, dans un couffin, des boulettes de viande hachée, du pain et du vin trempé d’eau. Elle y retrouvait des amies. On s’asseyait autour des tombes, dont quelques-unes étaient creusées en forme de tables, on déballait les provisions et l’on mangeait et buvait pieusement, en l’honneur des martyrs. C’était là, chez les chrétiens, un reste de superstition païenne. Ces pieuses agapes dégénéraient souvent en écœurantes orgies. Augustin, devenu évêque d’Hippone, aura bien du mal à en déshabituer ses ouailles. La tradition en persistera quand même. Tous les vendredis, les femmes musulmanes d’Afrique continuent à visiter les cimetières et les marabouts. Comme au temps de sainte Monique, on s’assied autour des tombes, si fraîches sous leur revêtement de faïences peintes, à l’ombre des cyprès et des eucalyptus. On croque des friandises, on bavarde, on rit, on est heureuses : les maris ne sont pas là.

Monique s’acquittait de ces visites dans un sincère esprit de dévotion, bien loin d’y chercher une occasion de débauche ou de dissipation. Elle se bornait à boire un peu de vin, très discrètement : elle se souvenait toujours de son péché de jeunesse. D’ailleurs, ce vin coupé d’eau, qu’elle apportait de la maison, était tiède, quand elle arrivait au cimetière : c’était une boisson médiocrement délicieuse et qui ne devait guère flatter la sensualité. Elle distribuait le reste aux indigens avec le